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Pourquoi dit-on d’un vin qu’il a des jambes (ou des larmes) ?

Parmi toutes les expressions qui font le lexique œnologique, il en est une qui ne manque jamais d’étonner : les jambes du vin. Longtemps, on a cru que la viscosité de ces  gouttelettes accrochées à la paroi du verre après qu’on l’a agité, promettaient un cru de qualité. Même si on sait aujourd’hui qu’il n’en est rien, ces gambettes ne manquent jamais de séduire les dégustateurs.
N’en déplaisent aux ayatollahs de la santé publique qui rêvent de le taxer toujours plus au nom de la lutte contre les dépendances, le vin, quand bien même tutoie-t-il les quinze degrés comme un bon vieux Côtes-du-Rhône-Villages, ne relève pas du domaine des alcools. Pour autant, que l’autre camp, celui des têteurs de goulot impénitents qui vident plus de ballons en une soirée que Mbappé n’en touche en un match de Ligue 1, ne se réjouisse pas trop vite : le jus de raisin fermenté (avec plus ou moins de talent) n’est pas davantage une simple boisson. Parce qu’un Bordeaux, un Barolo, un Bourgogne ou un Priorat descendu des monts de Catalogne, à moins d’être le dernier des gougnafiers, ça ne se boit pas, ô non surtout pas ; ça se déguste !

« DIEU N'AVAIT FAIT QUE L'EAU,
L'HOMME A FAIT LE VIN. »

Victor Hugo
Le vin, c’est une sève. Quand il entre en vous, il y a tout qui respire, tout qui s’anime, tout qui s’amuse. Les narines frétillent tout autant que les papilles. Le palais est à la fête comme Buckingham le jour où Louis, le benjamin de Kate et William, a fait sa première dent. Ça caresse à l’intérieur, ça tapisse quand c’est très bon, parfois ça chauffe et souvent, ça vous réchauffe. Ce n’est pas moi qui le dit, mais près des deux tiers des Français qui, dans un sondage IFOP de 2014, avouaient que le vin les rendait heureux. Ce qui m’amène à penser qu’on devrait toujours siroter un verre de Côte-Rôtie ou de Condrieu, les deux joyaux de la vallée du Rhône, devant le JT de 20 heures ; ça compenserait !

VIN EN BOUCHE DÉLIE LES LANGUES

Mais la magie du vin n’est pas tant de nous égayer que de nous faire parler bien plus facilement qu’un coup d’annuaire sur la tronche dans un commissariat de banlieue (mais reste-t-il seulement des annuaires chez les condés ?). Je ne parle pas des propos incohérents de ceux qui, à trop vider de verres, en arrivent à avaler tout autant les syllabes. Non, je songe à ces conversations en famille ou entre amis qui, partant d’un simple commentaire sur la bouteille qui accompagne les agapes, dérivent vers les terres heureuses du souvenir.

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Et l’on raconte alors ce soir où l’on a aimé un Bolgheri et la femme avec qui on l’a partagé à la terrasse d’un bar toscan. Et l’on se rappelle de ce moment d’amitié entre copines, autour d’un Pic-Saint-Loup, où l’on s’est dit des choses qui ne se disent jamais. Et l’on rougit de ce Madiran chapardé dans la cave du beau-père pour accompagner le canard à l’orange que Mémé Jeanne faisait si bien. Et l’on rit de cet été joyeux à rouler, toutes vitres ouvertes, à travers les vignes verdoyantes de l’Alsace, en quête d’un nouveau caveau où goûter ce fameux Gewurztraminer qui, grâce à la chimie mystérieuse de la vinification, vous met le Tonkin en tête avec ses parfums de litchi.

DES MOTS POUR LE DIRE

IFOP encore : les trois quarts des Français parlent régulièrement de vin avec leurs proches, alors que, malgré le tapage médiatique autour des états d’âmes de Neymar et de la chatte à Dédé, seule une moitié cause football. 75%, c’est déjà beaucoup, mais ce pourrait être mieux ! Il y a fort à parier, en effet, que le vin serait sur toutes les lèvres de ceux qui l’aiment en bouche si certains, craignant de paraître maladroits, sinon ridicules, ne taisaient leur enthousiasme, faute de connaître le vocabulaire qu’il faut pour l’exprimer.

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Il est vrai que le vin a généré un riche lexique qui peut paraître abscons pour celui qui n’a d’autre ambition que de se régaler de son nectar. Ainsi, des notes balsamiques ne dénoncent-elles pas une piquette façon vinaigre, mais désignent, en référence au balsamier (l’arbre qui donne la myrrhe), les arômes de résine, de pin, d’encens ou de vanille que laissent parfois au vin quelques mois d’élevage en fût de chêne. De même, si votre caviste vous vante le petit côté empyreumatique d’un cru, ne fuyez pas de peur d’attraper le même rhume que lui, mais attendez-vous à un vin boisé qui fleure bon le café fraîchement torréfié ou le toast encore chaud du petit-déjeuner dominical. L’empyreume, dans le jardin des chimistes, est en effet cette odeur forte et caractéristique que dégagent certaines matières organiques quand on les grille.

Enfin, si, tout à coup, votre voisin de table vous dit de son vin qu’il a des larmes ou des jambes, ne prenez surtout pas les vôtres à votre cou pour fuir l’hurluberlu aviné ! Ces deux catachrèses évoquent le même phénomène : ces traces transparentes et grasses qui se forment sur la paroi du verre quand, d’un petit mouvement du poignet, on fait tourner le vin dedans. Longtemps, on a prétendu qu’elles révélaient une présence accrue de glycérol, l’un des deux constituants alcoolisés du vin, celui qui décide de sa suavité (l’autre, l’éthanol, entraînant l’ivresse). Mais la science et, plus particulièrement, son volet consacré à la mécanique des fluides, est venue contredire cette croyance.

FINES LARMES OU JAMBES LOURDES ?

Grâce aux travaux de l’Italien Carlo Marangoni, on sait désormais que si le vin nous dévoile ses jambes plus librement encore que Marilyn dans « Sept ans de réflexion », ce n’est pas parce qu’il est aussi rond que ceux qui en abusent, mais parce qu’il contient de l’alcool et de l’eau. Or, ces deux éléments ne réagissent pas pareil au tournoiement qu’on leur fait subir. Différents par leurs températures d’évaporation (100° pour l’eau, 78° pour l’alcool), par leur tension de surface (la force opposée à la pression de l’air) et, du même coup, par leur capillarité (l’effet mouillant au contact d’un solide), les deux liquides se séparent. L’eau monte haut sur le verre pour y former de grosses gouttes tandis qu’en dessous d’elles, l’alcool s’étale sur la paroi en une fine pellicule qui, en s’évaporant par endroit, ouvrent des brèches pour les perles aqueuses.

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D’où ces sillons qu’on appelles des jambes, des larmes et même des cuisses, des pleurs, des arcades ou des arceaux. Que disent-elles du vin ? Pas grand chose ! Si elles sont grasses et marquées, on peut supputer que le vin est riche en alcool puisque c’est lui qui, tant qu’il n’est pas évaporé, retient l’eau en suspension sur le verre. « Supputer » seulement car d’autres facteurs influent sur la présence et la taille des larmes : la température du vin, la présence de sucres naturels ou bien encore la propreté du verre (jamais de lave-vaisselle ni d’essuyage au torchon, s’il vous plaît !).

Voilà pourquoi un vin peut vous séduire par sa belle robe et ses jolies jambes, mais révéler au final, sitôt passé le premier baiser, un caractère pâlot. Alors, pensez-y à l’heure de lever votre verre pour trinquer avec votre prochain rendez-vous Meetic : peu importe ce qui se montre, c’est ce qui se découvre qui compte ! Et je ne sais pas pour vous, mais moi, rien que de le savoir et de me dire que je vais mourir moins con (et le plus tard possible), le cœur plein du souvenir de tous ces merveilleux nectars qui ont égayé ma vie et des lèvres qui les ont bus avec moi, ça me ravit.
Crédits photo :
Le
s jambes et le vin : Simone Perrone, via Unsplash
La femme et le vin : Alfonso Scarpa, via Unsplash
Le vin entre amis : Kelsey Chance, via Unsplash
Les larmes du vin : Anuwat Khamngoen, via FreeImages
Et puisqu'il se dit qu'en France, tout se termine en chanson, je vous offre celle-ci de Mistinguett qui, question belles gambettes, se posait là :
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Parmi toutes les expressions qui font le lexique œnologique, il en est une qui ne manque jamais d’étonner : les jambes du vin. Longtemps, on a cru que la viscosité de ces  gouttelettes accrochées à la paroi du verre après qu’on l’a agité, promettaient un cru de qualité. Même si on sait aujourd’hui qu’il n’en est rien, ces gambettes ne manquent jamais de séduire les dégustateurs.
N’en déplaisent aux ayatollahs de la santé publique qui rêvent de le taxer toujours plus au nom de la lutte contre les dépendances, le vin, quand bien même tutoie-t-il les quinze degrés comme un bon vieux Côtes-du-Rhône-Villages, ne relève pas du domaine des alcools. Pour autant, que l’autre camp, celui des têteurs de goulot impénitents qui vident plus de ballons en une soirée que Mbappé n’en touche en un match de Ligue 1, ne se réjouisse pas trop vite : le jus de raisin fermenté (avec plus ou moins de talent) n’est pas davantage une simple boisson. Parce qu’un Bordeaux, un Barolo, un Bourgogne ou un Priorat descendu des monts de Catalogne, à moins d’être le dernier des gougnafiers, ça ne se boit pas, ô non surtout pas ; ça se déguste !

« DIEU N'AVAIT FAIT QUE L'EAU,
L'HOMME A FAIT LE VIN. »

Victor Hugo
Le vin, c’est une sève. Quand il entre en vous, il y a tout qui respire, tout qui s’anime, tout qui s’amuse. Les narines frétillent tout autant que les papilles. Le palais est à la fête comme Buckingham le jour où Louis, le benjamin de Kate et William, a fait sa première dent. Ça caresse à l’intérieur, ça tapisse quand c’est très bon, parfois ça chauffe et souvent, ça vous réchauffe. Ce n’est pas moi qui le dit, mais près des deux tiers des Français qui, dans un sondage IFOP de 2014, avouaient que le vin les rendait heureux. Ce qui m’amène à penser qu’on devrait toujours siroter un verre de Côte-Rôtie ou de Condrieu, les deux joyaux de la vallée du Rhône, devant le JT de 20 heures ; ça compenserait !

VIN EN BOUCHE
DÉLIE LES LANGUES

Mais la magie du vin n’est pas tant de nous égayer que de nous faire parler bien plus facilement qu’un coup d’annuaire sur la tronche dans un commissariat de banlieue (mais reste-t-il seulement des annuaires chez les condés ?). Je ne parle pas des propos incohérents de ceux qui, à trop vider de verres, en arrivent à avaler tout autant les syllabes. Non, je songe à ces conversations en famille ou entre amis qui, partant d’un simple commentaire sur la bouteille qui accompagne les agapes, dérivent vers les terres heureuses du souvenir.

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Et l’on raconte alors ce soir où l’on a aimé un Bolgheri et la femme avec qui on l’a partagé à la terrasse d’un bar toscan. Et l’on se rappelle de ce moment d’amitié entre copines, autour d’un Pic-Saint-Loup, où l’on s’est dit des choses qui ne se disent jamais. Et l’on rougit de ce Madiran chapardé dans la cave du beau-père pour accompagner le canard à l’orange que Mémé Jeanne faisait si bien. Et l’on rit de cet été joyeux à rouler, toutes vitres ouvertes, à travers les vignes verdoyantes de l’Alsace, en quête d’un nouveau caveau où goûter ce fameux Gewurztraminer qui, grâce à la chimie mystérieuse de la vinification, vous met le Tonkin en tête avec ses parfums de litchi.

DES MOTS POUR LE DIRE

IFOP encore : les trois quarts des Français parlent régulièrement de vin avec leurs proches, alors que, malgré le tapage médiatique autour des états d’âmes de Neymar et de la chatte à Dédé, seule une moitié cause football. 75%, c’est déjà beaucoup, mais ce pourrait être mieux ! Il y a fort à parier, en effet, que le vin serait sur toutes les lèvres de ceux qui l’aiment en bouche si certains, craignant de paraître maladroits, sinon ridicules, ne taisaient leur enthousiasme, faute de connaître le vocabulaire qu’il faut pour l’exprimer.

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Il est vrai que le vin a généré un riche lexique qui peut paraître abscons pour celui qui n’a d’autre ambition que de se régaler de son nectar. Ainsi, des notes balsamiques ne dénoncent-elles pas une piquette façon vinaigre, mais désignent, en référence au balsamier (l’arbre qui donne la myrrhe), les arômes de résine, de pin, d’encens ou de vanille que laissent parfois au vin quelques mois d’élevage en fût de chêne. De même, si votre caviste vous vante le petit côté empyreumatique d’un cru, ne fuyez pas de peur d’attraper le même rhume que lui, mais attendez-vous à un vin boisé qui fleure bon le café fraîchement torréfié ou le toast encore chaud du petit-déjeuner dominical. L’empyreume, dans le jardin des chimistes, est en effet cette odeur forte et caractéristique que dégagent certaines matières organiques quand on les grille.

Enfin, si, tout à coup, votre voisin de table vous dit de son vin qu’il a des larmes ou des jambes, ne prenez surtout pas les vôtres à votre cou pour fuir l’hurluberlu aviné ! Ces deux catachrèses évoquent le même phénomène : ces traces transparentes et grasses qui se forment sur la paroi du verre quand, d’un petit mouvement du poignet, on fait tourner le vin dedans. Longtemps, on a prétendu qu’elles révélaient une présence accrue de glycérol, l’un des deux constituants alcoolisés du vin, celui qui décide de sa suavité (l’autre, l’éthanol, entraînant l’ivresse). Mais la science et, plus particulièrement, son volet consacré à la mécanique des fluides, est venue contredire cette croyance.

FINES LARMES
OU JAMBES LOURDES ?

Grâce aux travaux de l’Italien Carlo Marangoni, on sait désormais que si le vin nous dévoile ses jambes plus librement encore que Marilyn dans « Sept ans de réflexion », ce n’est pas parce qu’il est aussi rond que ceux qui en abusent, mais parce qu’il contient de l’alcool et de l’eau. Or, ces deux éléments ne réagissent pas pareil au tournoiement qu’on leur fait subir. Différents par leurs températures d’évaporation (100° pour l’eau, 78° pour l’alcool), leur tension de surface (la force opposée à la pression de l’air) et, du même coup, leur capillarité (l’effet mouillant au contact d’un solide), les deux liquides se séparent. L’eau monte haut sur le verre pour y former de grosses gouttes tandis qu’en dessous d’elles, l’alcool s’étale sur la paroi en une fine pellicule qui, en s’évaporant par endroit, ouvrent des brèches pour les perles aqueuses.

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D’où ces sillons qu’on appelles des jambes, des larmes et même des cuisses, des pleurs, des arcades ou des arceaux. Que disent-elles du vin ? Pas grand chose ! Si elles sont grasses et marquées, on peut supputer que le vin est riche en alcool puisque c’est lui qui, tant qu’il n’est pas évaporé, retient l’eau en suspension sur le verre. « Supputer » seulement car d’autres facteurs influent sur la présence et la taille des larmes : la température du vin, la présence de sucres naturels ou bien encore la propreté du verre (jamais de lave-vaisselle ni d’essuyage au torchon, s’il vous plaît !).

Voilà pourquoi un vin peut vous séduire par sa belle robe et ses jolies jambes, mais révéler au final, sitôt passé le premier baiser, un caractère pâlot. Alors, pensez-y à l’heure de lever votre verre pour trinquer avec votre prochain rendez-vous Meetic : peu importe ce qui se montre, c’est ce qui se découvre qui compte ! Et je ne sais pas pour vous, mais moi, rien que de le savoir et de me dire que je vais mourir moins con (et le plus tard possible), le cœur plein du souvenir de tous ces merveilleux nectars qui ont égayé ma vie et des lèvres qui les ont bus avec moi, ça me ravit.
Crédits photo :
Le
s jambes et le vin : Simone Perrone, via Unsplash
La femme et le vin : Alfonso Scarpa, via Unsplash
Le vin entre amis : Kelsey Chance, via Unsplash
Les larmes du vin : Anuwat Khamngoen, via FreeImages
Et puisqu'il se dit qu'en France, tout se termine en chanson, je vous offre celle-ci de Mistinguett qui, question belles gambettes, se posait là :
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