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Pourquoi les Chinois ont construit leur (très) Grande Muraille ?

C’est l’un des monuments les plus célèbres au monde. C’est surtout le plus grand d’entre tous. La Grande Muraille de Chine a résisté aux Mongols comme aux siècles. Une robustesse qui ne tient qu’à une poignée de riz…

En 1987, l’année de mon bac, Jacques Séguéla, le publicitaire qui a fait de François Mitterrand une « force tranquille », signait un nouveau spot spectaculaire pour promouvoir l’AX auprès du public français. On y voyait une jeune et jolie Chinoise dévaler à vive allure la Grande Muraille de Chine au volant de la petite citadine de Citroën. Un dernier coup de frein et voilà que deux gars hilares, fleurant bon le cliché colonialiste avec leurs kimonos et leurs chapeaux chinois, saluaient l’exploit du V de la Victoire et d’un mot qui avait alors encore un peu de sens au pays de Mao : « Révolutionnaire » !

Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts de l’Amour (le fleuve qui sépare la Chine de la Russie), et les différents protagonistes de cette publicité se sont plus ou moins noyés dedans. L’AX est tombée dans l’oubli auquel son design désastreux la promettait. La révolution s’est acoquinée au capitalisme pour faire son Grand Bond en arrière. Jacques Séguéla, lui, s’est fait de la mauvaise pub en tentant de défendre Nicolas Sarkozy et sa Rolex. Finalement, quand on y pense, seule la ligne Maginot chinoise a échappé au naufrage du temps.

UN MUR INFINI

On peut même dire de cette construction sans égale qu’elle tient la grande forme ! Élue parmi les sept merveilles du monde moderne, elle reçoit chaque année plus de 15 millions de visiteurs. Une reconnaissance et une popularité somme toute méritées pour un ouvrage colossal à côté duquel notre Tour Eiffel passe pour un vulgaire jeu de Meccano. Ce ne sont pas tant sa hauteur (de 6 à 17 mètres) et sa largeur (7 mètres au maximum) qui la rendent exceptionnelle que sa longueur. D’ailleurs, les Chinois ne s’y sont pas trompés et l’ont appelée la « Longue Muraille de 10000 li » (le li étant, comme tout cruciverbiste et scrabbleur le sait, une ancienne unité de mesure locale équivalant à 500 mètres). Un nom à double sens car les compatriotes de Confucius associent traditionnellement le nombre « 10000 » à l’infinité. Pour eux, leur muraille est donc sans fin.


Un tantinet exagéré, tout de même ! Mais bon, il faut bien le reconnaître, comme l’ont souvent dit les partenaires de jeu de Rocco Siffredi, « pour être longue, elle est longue » ! Reliant la mer de Bohai au Fort de Jiayuguan, à l’ouest du pays, la fortification principale s’étend sur plus de 6700 kilomètres de long. Une distance que le Norvégien Robert Løken a couvert d’une traite, à la fin des années 2000, en 600 jours. En AX ? Non, à pied. Sacrée balade ! Au total, entre cette partie principale et sa quinzaine de ramifications, pas moins de 21000 kilomètres de remparts furent érigés par l’Empire du Milieu. Soit la moitié de la circonférence de la Terre !

LES HORDES DU NORD

La Grande Muraille, pas plus que Paris, ne s’est pas faite en un jour. On estime que sa construction s’est étalée sur plus de deux millénaires. Les débuts furent modestes. De simples murs de torchis, un mélange de terre sèche et de joncs, hauts de six mètres. En quatre siècles de labeur, usant de près de 200 millions de mètres cubes de terre, les Chinois ont construit dix mille kilomètres de ces remparts rudimentaires. Et, aussi incroyable que cela puisse paraître, des pans entiers se dressent encore dans le désert de Gobi, attendant un ennemi qui ne viendra plus.
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Quel était donc ce redoutable adversaire ? Le peuple Xiongnu. Trois siècles avant notre ère, ces nomades venus de l’actuelle Mongolie multipliaient les razzias dans le nord de la Chine, mettant à mal la souveraineté de Qin Shi Huang, le premier maître d’un empire tout juste unifié. Ce dernier envoya alors 300 000 soldats pour repousser ces envahisseurs et, une fois la paix établie, construire une muraille qui devait la préserver à jamais. L’ouvrage connut dès lors une histoire aussi mouvementée que celle du pays qui l’a vu naître. Il fut tour à tour abandonné, rallongé, rénové ou oublié. Jusqu’à ce qu’au XIIIe siècle, Gengis Khan et ses féroces Mongols, contournant ou franchissant ce qui en reste, fondent sur la Chine.

Les Chinois vont mettre cent cinquante ans pour renvoyer les Mongols dans leurs steppes. Tel le corbeau de La Fontaine, la dynastie Ming, principale actrice de cette reconquête, jura alors, mais un peu tard, qu’on ne l’y reprendrait plus. Elle s’attela donc à la construction d’une nouvelle muraille pour faire de son empire une immense forteresse. Plus d’un million d’ouvriers — soldats, prisonniers ou paysans désargentés — s’affairèrent jour et nuit sur le chantier. Il faudra tout de même un bon siècle d’un travail acharné pour boucler ce système de défense sans précédent.

 

UNE LÉGENDE TOUJOURS DEBOUT, DEUX MYTHES PAR TERRE

La Grande Muraille a dès lors le visage qu’on lui connaît aujourd’hui. Rythmée par plus d’un millier de bastions, forts et tours de guet, elle colle au relief montagneux du nord de la Chine comme un fourreau Versace à celui de Zahia. Plus question d’utiliser du torchis ; elle est faite essentiellement de briques. Près de quatre milliards, au total. D’un poids unitaire de dix kilos, elles sont liées par un mortier d’une blancheur éclatante et d’une solidité comparable à nos bétons modernes. Mettant à mal tous nos préjugés sur le made in China, il a résisté sans souci aux boulets de canon, à plusieurs séismes et à l’usure du temps. Un miracle qui tient à un ingrédient resté longtemps secret. Les os broyés des dix millions d’ouvriers morts pendant la construction, comme l’ont longtemps prétendu les Chinois ? Pas du tout ! La science a balayé cette croyance populaire, nous livrant la vraie nature du produit magique : le riz gluant ! Le même que celui qui accompagne votre canard laqué !
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Même s’il est encore largement relayé, un autre mythe concernant la Muraille est tombé il y a cinquante ans : celui de sa visibilité depuis la Lune. Tant pis si l'orgueil des Chinois doit en souffrir mais, depuis que Neil Armstrong a fait un petit pas pour lui, un grand pas pour l'Humanité, il est établi que l'on ne voit pas leur grand serpent de brique depuis le satellite de la Terre ! Pas plus que depuis la Station spatiale internationale, au demeurant. En fait, on doit cette fable lunaire à un archéologue anglais du XVIIIe siècle : William Stukeley. Il la lança en 1754 en rédigeant ces quelques lignes : « Le mur d’Hadrien n’est dépassé que par la muraille de Chine, qui dessine une formidable figure sur le globe terrestre, et pourrait bien être visible depuis la Lune ». Reprise maintes et maintes fois jusqu’à passer pour une vérité, cette affirmation sans fondement témoigne de ce que les fake news n’ont pas attendu l’avènement d’internet pour circuler.

Voilà pourquoi, si l’on veut voir la plus grande des constructions jamais réalisées par l’Humanité, il vaut mieux prendre un avion jusqu’à Pékin plutôt qu’une fusée jusqu’à la Lune. Et je ne sais pas pour vous, mais moi, rien que de le savoir et de me dire que je vais mourir moins con (et le plus tard possible), ça me ravit.

Et puisqu'il se dit qu'en France, tout se termine par une chanson, je vous offre celle-là :
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En 1987, l’année de mon bac, Jacques Séguéla, le publicitaire qui a fait de François Mitterrand une « force tranquille », signait un nouveau spot spectaculaire pour promouvoir l’AX auprès du public français. On y voyait une jeune et jolie Chinoise dévaler à vive allure la Grande Muraille de Chine au volant de la petite citadine de Citroën. Un dernier coup de frein et voilà que deux gars hilares, fleurant bon le cliché colonialiste avec leurs kimonos et leurs chapeaux chinois, saluaient l’exploit du V de la Victoire et d’un mot qui avait alors encore un peu de sens au pays de Mao : « Révolutionnaire » !

Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts de l’Amour (le fleuve qui sépare la Chine de la Russie), et les différents protagonistes de cette publicité se sont plus ou moins noyés dedans. L’AX est tombée dans l’oubli auquel son design désastreux la promettait. La révolution s’est acoquinée au capitalisme pour faire son Grand Bond en arrière. Jacques Séguéla, lui, s’est fait de la mauvaise pub en tentant de défendre Nicolas Sarkozy et sa Rolex. Finalement, quand on y pense, seule la ligne Maginot chinoise a échappé au naufrage du temps.

UN MUR INFINI

On peut même dire de cette construction sans égale qu’elle tient la grande forme ! Élue parmi les sept merveilles du monde moderne, elle reçoit chaque année plus de 15 millions de visiteurs. Une reconnaissance et une popularité somme toute méritées pour un ouvrage colossal à côté duquel notre Tour Eiffel passe pour un vulgaire jeu de Meccano. Ce ne sont pas tant sa hauteur (de 6 à 17 mètres) et sa largeur (7 mètres au maximum) qui la rendent exceptionnelle que sa longueur. D’ailleurs, les Chinois ne s’y sont pas trompés et l’ont appelée la « Longue Muraille de 10000 li » (le li étant, comme tout cruciverbiste et scrabbleur le sait, une ancienne unité de mesure locale équivalant à 500 mètres). Un nom à double sens car les compatriotes de Confucius associent traditionnellement le nombre « 10000 » à l’infinité. Pour eux, leur muraille est donc sans fin.

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Un tantinet exagéré, tout de même ! Mais bon, il faut bien le reconnaître, comme l’ont souvent dit les partenaires de jeu de Rocco Siffredi, « pour être longue, elle est longue » ! Reliant la mer de Bohai au Fort de Jiayuguan, à l’ouest du pays, la fortification principale s’étend sur plus de 6700 kilomètres de long. Une distance que le Norvégien Robert Løken a couvert d’une traite, à la fin des années 2000, en 600 jours. En AX ? Non, à pied. Sacrée balade ! Au total, entre cette partie principale et sa quinzaine de ramifications, pas moins de 21000 kilomètres de remparts furent érigés par l’Empire du Milieu. Soit la moitié de la circonférence de la Terre !

LES HORDES DU NORD

La Grande Muraille, pas plus que Paris, ne s’est pas faite en un jour. On estime que sa construction s’est étalée sur plus de deux millénaires. Les débuts furent modestes. De simples murs de torchis, un mélange de terre sèche et de joncs, hauts de six mètres. En quatre siècles de labeur, usant de près de 200 millions de mètres cubes de terre, les Chinois ont construit dix mille kilomètres de ces remparts rudimentaires. Et, aussi incroyable que cela puisse paraître, des pans entiers se dressent encore dans le désert de Gobi, attendant un ennemi qui ne viendra plus.
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Quel était donc ce redoutable adversaire ? Le peuple Xiongnu. Trois siècles avant notre ère, ces nomades venus de l’actuelle Mongolie multipliaient les razzias dans le nord de la Chine, mettant à mal la souveraineté de Qin Shi Huang, le premier maître d’un empire tout juste unifié. Ce dernier envoya alors 300 000 soldats pour repousser ces envahisseurs et, une fois la paix établie, construire une muraille qui devait la préserver à jamais. L’ouvrage connut dès lors une histoire aussi mouvementée que celle du pays qui l’a vu naître. Il fut tour à tour abandonné, rallongé, rénové ou oublié. Jusqu’à ce qu’au XIIIe siècle, Gengis Khan et ses féroces Mongols, contournant ou franchissant ce qui en reste, fondent sur la Chine.

Les Chinois vont mettre cent cinquante ans pour renvoyer les Mongols dans leurs steppes. Tel le corbeau de La Fontaine, la dynastie Ming, principale actrice de cette reconquête, jura alors, mais un peu tard, qu’on ne l’y reprendrait plus. Elle s’attela donc à la construction d’une nouvelle muraille pour faire de son empire une immense forteresse. Plus d’un million d’ouvriers — soldats, prisonniers ou paysans désargentés — s’affairèrent jour et nuit sur le chantier. Il faudra tout de même un bon siècle d’un travail acharné pour boucler ce système de défense sans précédent.

 

UNE LÉGENDE
TOUJOURS DEBOUT,
DEUX MYTHES PAR TERRE

La Grande Muraille a dès lors le visage qu’on lui connaît aujourd’hui. Rythmée par plus d’un millier de bastions, forts et tours de guet, elle colle au relief montagneux du nord de la Chine comme un fourreau Versace à celui de Zahia. Plus question d’utiliser du torchis ; elle est faite essentiellement de briques. Près de quatre milliards, au total. D’un poids unitaire de dix kilos, elles sont liées par un mortier d’une blancheur éclatante et d’une solidité comparable à nos bétons modernes. Mettant à mal tous nos préjugés sur le made in China, il a résisté sans souci aux boulets de canon, à plusieurs séismes et à l’usure du temps. Un miracle qui tient à un ingrédient resté longtemps secret. Les os broyés des dix millions d’ouvriers morts pendant la construction, comme l’ont longtemps prétendu les Chinois ? Pas du tout ! La science a balayé cette croyance populaire, nous livrant la vraie nature du produit magique : le riz gluant ! Le même que celui qui accompagne votre canard laqué !
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Même s’il est encore largement relayé, un autre mythe concernant la Muraille est tombé il y a cinquante ans : celui de sa visibilité depuis la Lune. Tant pis si l'orgueil des Chinois doit en souffrir mais, depuis que Neil Armstrong a fait un petit pas pour lui, un grand pas pour l'Humanité, il est établi que l'on ne voit pas leur grand serpent de brique depuis le satellite de la Terre ! Pas plus que depuis la Station spatiale internationale, au demeurant. En fait, on doit cette fable lunaire à un archéologue anglais du XVIIIe siècle : William Stukeley. Il la lança en 1754 en rédigeant ces quelques lignes : « Le mur d’Hadrien n’est dépassé que par la muraille de Chine, qui dessine une formidable figure sur le globe terrestre, et pourrait bien être visible depuis la Lune ». Reprise maintes et maintes fois jusqu’à passer pour une vérité, cette affirmation sans fondement témoigne de ce que les fake news n’ont pas attendu l’avènement d’internet pour circuler.

Voilà pourquoi, si l’on veut voir la plus grande des constructions jamais réalisées par l’Humanité, il vaut mieux prendre un avion jusqu’à Pékin plutôt qu’une fusée jusqu’à la Lune. Et je ne sais pas pour vous, mais moi, rien que de le savoir et de me dire que je vais mourir moins con (et le plus tard possible), ça me ravit.

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