
Pourquoi pose-t-on un lapin (et noie-t-on le poisson) ?
ÇA CHATOUILLE MOINS QUAND ÇA GAZOUILLE
Je m'en suis aperçu pas plus tard que ce matin, en bavardant tranquillement avec mon fils au petit déjeuner. Soudain, entre deux tartines, voilà que je lui lance un proverbe bien connu : ce n’est pas à un vieux singe qu’on apprend à faire des grimaces. Que n’ai-je pas dit ! Loin de forcer le respect de ma progéniture, mes belles paroles censées valoriser mon expérience, pour ne pas dire ma sagesse, ont fait un four. C’est qu’il m’avait échappé jusqu’ici que, nourri au rap et au Squeezie, ma descendance, à l’image de toute la génération Z, manie moins la locution animalière que l’abréviation, l’acronyme, l’arabisme et, surtout, l’anglicisme. Sous peine de passer pour une vieille chouette, je dois me rendre à l’évidence : le langage a viré du bestiaire au bestial tant et si bien que la vie de chien a tourné à la VDM. Il n'empêche que je trouve ça regrettable.

Parce que figurez-vous que je les aime bien, moi, ces expressions animalières. En premier lieu, je les trouve efficaces et cela me les rend précieuses ! Elles racontent si simplement et parfaitement nos états d'âmes, nos erreurs, nos angoisses, nos beautés comme nos défauts, bref, tout ce qui fait la vie. Combien de fois ai-je eu le cafard, mis la charrue avant les bœufs, pris le taureau par les cornes et compté les moutons jusqu’à dormir comme un loir ? Et ce qu’il y a de bien, c’est que tout ce que je viens de vous dire, vous l’avez compris et ce, du premier coup. C'est un peu comme le Qualité Filtre de Maxwell : ce n’est pas la peine d’en rajouter !
Tenez… Si je vous dis de quelqu’un qu’il a une langue de vipère, vous n’allez pas lui imaginer une seule seconde une langue fourchue. Non, vous comprendrez tout de suite qu’il a la sale manie de dire du mal des autres. Une métaphore un peu tirée par les cheveux – de Méduse – car la vipère, comme tous les serpents, n’a pas de cordes vocales. Si sa langue symbolise pourtant la médisance, cela tient moins à la conversation de ce reptile qu’à sa morsure qui, sans être forcément fatale, est toujours douloureuse. Comme certaines paroles...
Justement ! Quand certains mots vous blessent, les métaphores animales équivalentes, sans doute parce qu’elles ont quelque chose d'enfantin, vous égratignent à peine. Ainsi, aux insultes, nous devrions toujours préférer les noms d'oiseaux ; ils sont moins violents et, par conséquent, un tantinet plus... humains ! La dinde fait ainsi moins mal que la pétasse. L’oie blanche vaut mieux qu’une petite idiote. Une grue sera toujours moins vulgaire qu'une pute. Le jeune coq pardonne un peu l’arrogance d’un jeune homme. Quant à la cervelle de moineau, elle sonne bien plus joliment que « gros débile ».
UNE PLUME BIEN TREMPÉE
Comme la poule mouillée, de nombreuses locutions animalières répondent d’une analogie flagrante. Il n’est nul besoin d’être un zoologue averti pour comprendre les cuisses de grenouille, les jambes de sauterelle, le cou de girafe, la taille de guêpe, les yeux de biches et les mollets de coq. De même, on peut raisonnablement penser qu’un truisme est également responsable de la pisse d’âne qui désigne une boisson insipide ou de l’haleine de chacal, celle à faire tomber les mouches. Mais dans un cas comme dans l’autre, je vous laisse le soin de le vérifier.

En témoigne ce qu’il a fait des paroles d’Horace. Dans L’art poétique, invitant les jeunes poètes a plus d’humilité que leur aînés d’alors, sous peine de décevoir leur public, cet écrivain romain a écrit : « bien entendu, tu ne commenceras pas, comme jadis le poète cyclique : “Je chanterai la destinée de Priam et la guerre fameuse…” Comment tenir une promesse faite d'une voix si éclatante ? La montagne va accoucher d'une ridicule petite souris. » Si notre Immortel reprend à son compte la formule — « la montagne a accouché d’une souris » —, il lui donne un sens bien plus large, dénonçant à travers elle tous ceux qui, comme dirait Shakespeare, font beaucoup de bruit pour rien. Aujourd'hui encore, nous l’utilisons volontiers pour moquer les promesses de nos politiques et les résultats insignifiants de leurs projets survendus. Telle, par exemple, la révolution promise en 2016 dans un essai signé par... Emmanuel Macron.
UNE MONTAGNE EN MAL D'ENFANT
JETAIT UNE CLAMEUR SI HAUTE
QUE CHACUN, AU BRUIT ACCOURANT,
CRUT QU'ELLE ACCOUCHERAIT, SANS FAUTE,
D'UNE CITÉ PLUS GROSSE QUE PARIS ;
ELLE ACCOUCHA D'UNE SOURIS.
Cette petite souris n’est pas le seul legs que nous a laissé l’académicien français. Plus de trois siècles après la publication de ses histoires moralisatrices, leurs personnages à plumes ou à poils continuent de hanter les écoliers à l’heure de la récitation et, plus encore, de nourrir nos conversations. C’est le cas, entre autres, de la fameuse poule aux œufs d’or, du petit poisson qui deviendra grand, de la cigale qui s’est imposée dans notre lexique comme l’incarnation même de l’insouciance et de l’ours dont, comme chacun le sait désormais, il ne faut pas vendre la peau avant de l’avoir tué.
COMME UN POISSON DANS L'EAU
Outre « noyer le poisson », nous avons pêché dans l’océan bien d’autres expressions. Ainsi, le maquereau et la morue désignent-ils tout aussi bien le proxénète et la prostituée que ceux et celles qui, dans la vie, agissent comme tels. Le thon est le cauchemar des pistes de danse, surtout s'il est plat comme une limande. Les spéculateurs, eux, sont les requins de la finance tandis que l'avare a des oursins dans les poches. Aïe, ça pique ! Parce que l'amour rend bête et heureux, les amoureux ont des yeux de merlan frit. L'expression qui, à l'origine, au XVIIIe siècle, parlait de « carpe frite » s'inspire évidemment du regard mort et exhorbité d'un poisson passé à la poêle. On parle également d’un charisme d’huître et d’une mémoire de poisson rouge quand il manque de l’un comme de l’autre. Et pourquoi se marre-t-on comme une baleine ? Parce qu’on ouvre alors grand sa bouche comme un cétacé qui gobe un banc de krill.

LE LAPIN DES TAPINS
Des anecdotes sur l’origine des expressions animalières, j’en ai plein mon épuisette. Mais vous allez encore dire que je suis bavard comme une pie. Ce qui aurait pour effet de me vexer et de me rendre muet comme une carpe. Aussi me contenterai-je d’expliquer une dernière locution aux racines particulièrement croustillantes : poser un lapin. La simple observation d’un clapier suffit pour comprendre qu’un homme obsédé par sa carotte soit taxé de « chaud lapin ». Mais pourquoi évoque-t-on ce sympathique rongeur à la sexualité aussi débridée que son râble est délicieux quand on plante son rancart sans prendre la peine de le prévenir ?
Tout commence au XIXe siècle avec le développement des fêtes foraines. Parmi les attractions en vogue, le jeu du tourniquet. C’était une sorte de roulette du pauvre dont le gros lot était invariablement un lapin. Était-il en peluche, en terrine ou en chair et en os, je ne saurais vous le dire. Le jeu était-il truqué ? Là non plus, je n’ai pas de réponse. Mais une chose est certaine : il n’y avait quasiment jamais de gagnant. Tout le monde s’imaginait remporter facilement la mise et s’en repartait pourtant les mains vides. Une frustration qui en rappelait une autre aux prostituées de l’époque : celle qu’elles éprouvaient à chaque fois qu’un client, pas trop à cheval sur les principes, filait sans régler sa passe, les deux parties se séparant ainsi les bourses vides. Ainsi, dans le monde des julots, le Jeannot lapin du tourniquet a-t-il fini par désigner l’ardoise laissée par un micheton indélicat. Cet escroc devenant, du même coup, un « poseur de lapin ».

Avec le temps, les péripatéticiennes prirent l’habitude de se faire payer d’avance pour s’éviter du mauvais gibier. L’expression « poser un lapin » aurait dû alors disparaître, tout comme les mauvais payeurs qui l’avaient inspirée. C’était sans compter sur les étudiants qui, à la fin du XIXe siècle, la sortirent de l’oubli pour désigner un rendez-vous galant non honoré. Pour eux, en effet, cette promesse non tenue était aussi fâcheuse que celle d’un miché malhonnête. Et c’est ainsi que ce lapin de mauvais goût a basculé dans le langage commun et je jurerai que je ne suis pas le seul à en connaître l'amertume.
Et je ne sais pas vous, mais moi de savoir tout ça, ça me rend gai comme un pinson. Certes, ça ne change rien à ma vie, mais ça me promet une mort plus douce. Parce que, voyez-vous, même si j'espère que notre rendez-vous viendra le plus tard possible, je ne me fais pas d'illusions : celle-ci ne me posera certainement pas un lapin. Or, ce qui me console, pour ne pas dire ce qui me ravit, c’est qu’à l’heure du chant du cygne, le vieux bourricot que je suis partira un peu moins bête.
Le lapin contrarié : Werner Detjen, via Pixabay
L'orang-outan : Titus Straunton, via Pixabay
La biche : Taviphoto, via iStock
La baleine : Suebsiri, via iStock
Le lapin : Erik Smit, via Pixabay


Pourquoi les femmes s’expriment bruyamment pendant l’amour (même quand il est tard) ?

Pourquoi Bernard Hinault est surnommé le Blaireau (et Laura Flessel la Guêpe) ?

Pourquoi la Terre est ronde (mais pas tout à fait) ?

Pourquoi les Anglais conduisent à gauche (et les Japonais aussi) ?

Pourquoi
pose-t-on un lapin (et noie-t-on le poisson) ?
Vous a-t-on déjà traité de vieux cochon ou d’âne bâté ? Vous a-t-on pris un jour pour un pigeon ou le dindon de la farce ? Ça ne risque pas ? Tiens donc ! Et pourquoi ? Ah oui, bien sûr, parce que vous êtes rusé comme un renard, malin comme un singe. Vous voulez mon avis ? Non. Ben, je vous le donne quand même ! Vous êtes surtout fier comme un paon.
Ok, ok, stop, on en reste là. Temps mort, comme on dit sur les parquets. Inutile de se fâcher ; je ne veux pas vous vexer. Si j’ai cherché la petite bête, c’est juste pour souligner à quel point nos conversations ont quelque chose d'une grande ménagerie. Un éléphant dans un magasin de porcelaine, une bouche en cul de poule, un chat dans la gorge, une vieille bique, une grenouille de bénitier, un vieux loup de mer, des larmes de crocodile, une tête de mule, une faim de loup, une fièvre de cheval, un temps de cochon, un froid de canard et un vent à décorner les bœufs : on a trente millions d’amis au bout de la langue.
ÇA CHATOUILLE MOINS QUAND ÇA GAZOUILLE
Je m'en suis aperçu pas plus tard que ce matin, en bavardant tranquillement avec mon fils au petit déjeuner. Soudain, entre deux tartines, voilà que je lui lance un proverbe bien connu : ce n’est pas à un vieux singe qu’on apprend à faire des grimaces. Que n’ai-je pas dit ! Loin de forcer le respect de ma progéniture, mes belles paroles censées valoriser mon expérience, pour ne pas dire ma sagesse, ont fait un four. C’est qu’il m’avait échappé jusqu’ici que, nourri au rap et au Squeezie, ma descendance, à l’image de toute la génération Z, manie moins la locution animalière que l’abréviation, l’acronyme, l’arabisme et, surtout, l’anglicisme. Sous peine de passer pour une vieille chouette, je dois me rendre à l’évidence : le langage a viré du bestiaire au bestial tant et si bien que la vie de chien a tourné à la VDM. Il n'empêche que je trouve ça regrettable.

Parce que figurez-vous que je les aime bien, moi, ces expressions animalières. En premier lieu, je les trouve efficaces et cela me les rend précieuses ! Elles racontent si simplement et parfaitement nos états d'âmes, nos erreurs, nos angoisses, nos beautés comme nos défauts, bref, tout ce qui fait la vie. Combien de fois ai-je eu le cafard, mis la charrue avant les bœufs, pris le taureau par les cornes et compté les moutons jusqu’à dormir comme un loir ? Et ce qu’il y a de bien, c’est que tout ce que je viens de vous dire, vous l’avez compris et ce, du premier coup. C'est un peu comme le Qualité Filtre de Maxwell : ce n’est pas la peine d’en rajouter !
Tenez… Si je vous dis de quelqu’un qu’il a une langue de vipère, vous n’allez pas lui imaginer une seule seconde une langue fourchue. Non, vous comprendrez tout de suite qu’il a la sale manie de dire du mal des autres. Une métaphore un peu tirée par les cheveux – de Méduse – car la vipère, comme tous les serpents, n’a pas de cordes vocales. Si sa langue symbolise pourtant la médisance, cela tient moins à la conversation de ce reptile qu’à sa morsure qui, sans être forcément fatale, est toujours douloureuse. Comme certaines paroles...
Justement ! Quand certains mots vous blessent, les métaphores animales équivalentes, sans doute parce qu’elles ont quelque chose d'enfantin, vous égratignent à peine. Ainsi, aux insultes, nous devrions toujours préférer les noms d'oiseaux ; ils sont moins violents et, par conséquent, un tantinet plus... humains ! La dinde fait ainsi moins mal que la pétasse. L’oie blanche vaut mieux qu’une petite idiote. Une grue sera toujours moins vulgaire qu'une pute. Le jeune coq pardonne un peu l’arrogance d’un jeune homme. Quant à la cervelle de moineau, elle sonne bien plus joliment que « gros débile ».
UNE PLUME BIEN TREMPÉE
Comme la poule mouillée, de nombreuses locutions animalières répondent d’une analogie flagrante. Il n’est nul besoin d’être un zoologue averti pour comprendre les cuisses de grenouille, les jambes de sauterelle, le cou de girafe, la taille de guêpe, les yeux de biches et les mollets de coq. De même, on peut raisonnablement penser qu’un truisme est également responsable de la pisse d’âne qui désigne une boisson insipide ou de l’haleine de chacal, celle à faire tomber les mouches. Mais dans un cas comme dans l’autre, je vous laisse le soin de le vérifier.

Et puis, évidemment, il y a Jean de La Fontaine et ses célèbres fables. Bon, disons-le tout de suite, au risque d’égratigner un monument de la littérature hexagonale, membre de l'Académie française (fauteuil 24) de 1684 à sa mort, le 13 avril 1695, l’encre de La Fontaine a coulé d’autant plus qu’elle a souvent pris sa source à celle des auteurs antiques. Citons en premier lieu le Grec Ésope, le premier des fabulistes, à qui on doit, entre autres, les versions originales de La Tortue et le Lièvre et Le Corbeau et le Renard. Phèdre, qui a repris plus d'une fois la prose de son compatriote pour en tirer des vers remarquables, a également inspiré notre Jeannot national. Pour autant, celui-ci n’a rien d’un plagiaire. Il a su enjoliver les mots de ses aînés, donner du rythme et de la fantaisie à leurs écrits, et expliciter la morale de leurs fables.
En témoigne ce qu’il a fait des paroles d’Horace. Dans L’art poétique, invitant les jeunes poètes a plus d’humilité que leur aînés d’alors, sous peine de décevoir leur public, cet écrivain romain a écrit : « bien entendu, tu ne commenceras pas, comme jadis le poète cyclique : “Je chanterai la destinée de Priam et la guerre fameuse…” Comment tenir une promesse faite d'une voix si éclatante ? La montagne va accoucher d'une ridicule petite souris. » Si notre Immortel reprend à son compte la formule — « la montagne a accouché d’une souris » —, il lui donne un sens bien plus large, dénonçant à travers elle tous ceux qui, comme dirait Shakespeare, font beaucoup de bruit pour rien. Aujourd'hui encore, nous l’utilisons volontiers pour moquer les promesses de nos politiques et les résultats insignifiants de leurs projets survendus. Telle, par exemple, la révolution promise en 2016 dans un essai signé par... Emmanuel Macron.
UNE MONTAGNE EN MAL D'ENFANT JETAIT UNE CLAMEUR SI HAUTE QUE CHACUN, AU BRUIT ACCOURANT, CRUT QU'ELLE ACCOUCHERAIT, SANS FAUTE, D'UNE CITÉ PLUS GROSSE QUE PARIS ; ELLE ACCOUCHA D'UNE SOURIS.
Cette petite souris n’est pas le seul legs que nous a laissé l’académicien français. Plus de trois siècles après la publication de ses histoires moralisatrices, leurs personnages à plumes ou à poils continuent de hanter les écoliers à l’heure de la récitation et, plus encore, de nourrir nos conversations. C’est le cas, entre autres, de la fameuse poule aux œufs d’or, du petit poisson qui deviendra grand, de la cigale qui s’est imposée dans notre lexique comme l’incarnation même de l’insouciance et de l’ours dont, comme chacun le sait désormais, il ne faut pas vendre la peau avant de l’avoir tué.
COMME UN POISSON
DANS L'EAU
Outre « noyer le poisson », nous avons pêché dans l’océan bien d’autres expressions. Ainsi, le maquereau et la morue désignent-ils tout aussi bien le proxénète et la prostituée que ceux et celles qui, dans la vie, agissent comme tels. Le thon est le cauchemar des pistes de danse, surtout s'il est plat comme une limande. Les spéculateurs, eux, sont les requins de la finance tandis que l'avare a des oursins dans les poches. Aïe, ça pique ! Parce que l'amour rend bête et heureux, les amoureux ont des yeux de merlan frit. L'expresssion qui, à l'origine, au XVIIIe siècle, parlait de « carpe frite » s'inspire évidemment du regard mort et exhorbité d'un poisson passé à la poêle. On parle également d’un charisme d’huître et d’une mémoire de poisson rouge quand il manque de l’un comme de l’autre. Et pourquoi se marre-t-on comme une baleine ? Parce qu’on ouvre alors grand sa bouche comme un cétacé qui gobe un banc de krill.

LE LAPIN DES TAPINS
Des anecdotes sur l’origine des expressions animalières, j’en ai plein mon épuisette. Mais vous allez encore dire que je suis bavard comme une pie. Ce qui aurait pour effet de me vexer et de me rendre muet comme une carpe. Aussi me contenterai-je d’expliquer une dernière locution aux racines particulièrement croustillantes : poser un lapin. La simple observation d’un clapier suffit pour comprendre qu’un homme obsédé par sa carotte soit taxé de « chaud lapin ». Mais pourquoi évoque-t-on ce sympathique rongeur à la sexualité aussi débridée que son râble est délicieux quand on plante son rancart sans prendre la peine de le prévenir ?
Tout commence au XIXe siècle avec le développement des fêtes foraines. Parmi les attractions en vogue, le jeu du tourniquet. C’était une sorte de roulette du pauvre dont le gros lot était invariablement un lapin. Était-il en peluche, en terrine ou en chair et en os, je ne saurais vous le dire. Le jeu était-il truqué ? Là non plus, je n’ai pas de réponse. Mais une chose est certaine : il n’y avait quasiment jamais de gagnant. Tout le monde s’imaginait remporter facilement la mise et s’en repartait pourtant les mains vides. Une frustration qui en rappelait une autre aux prostituées de l’époque : celle qu’elles éprouvaient à chaque fois qu’un client, pas trop à cheval sur les principes, filait sans régler sa passe, les deux parties se séparant ainsi les bourses vides. Ainsi, dans le monde des julots, le Jeannot lapin du tourniquet a-t-il fini par désigner l’ardoise laissée par un micheton indélicat. Cet escroc devenant, du même coup, un « poseur de lapin ».

Avec le temps, les péripatéticiennes prirent l’habitude de se faire payer d’avance pour s’éviter du mauvais gibier. L’expression « poser un lapin » aurait dû alors disparaître, tout comme les mauvais payeurs qui l’avaient inspirée. C’était sans compter sur les étudiants qui, à la fin du XIXe siècle, la sortirent de l’oubli pour désigner un rendez-vous galant non honoré. Pour eux, en effet, cette promesse non tenue était aussi fâcheuse que celle d’un miché malhonnête. Et c’est ainsi que ce lapin de mauvais goût a basculé dans le langage commun et je jurerai que je ne suis pas le seul à en connaître l'amertume.
Et je ne sais pas vous, mais moi de savoir tout ça, ça me rend gai comme un pinson. Certes, ça ne change rien à ma vie, mais ça me promet une mort plus douce. Parce que, voyez-vous, même si j'espère que notre rendez-vous viendra le plus tard possible, je ne me fais pas d'illusions : celle-ci ne me posera certainement pas un lapin. Or, ce qui me console, pour ne pas dire ce qui me ravit, c’est qu’à l’heure du chant du cygne, le vieux bourricot que je suis partira un peu moins bête.
Le lapin contrarié : Werner Detjen, via Pixabay
L'orang-outan : Titus Straunton, via Pixabay
La biche : Taviphoto, via iStock
La baleine : Suebsiri, via iStock
Le lapin : Erik Smit, via Pixabay


Pourquoi les femmes s’expriment bruyamment pendant l’amour (même quand il est tard) ?

Pourquoi Bernard Hinault est surnommé le Blaireau (et Laura Flessel la Guêpe) ?

Pourquoi la Terre est ronde (mais pas tout à fait) ?




