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Pourquoi pose-t-on un lapin (et noie-t-on le poisson) ?

Vieux cochon ou perdrix de l’année, malin comme un singe ou têtu comme un âne, l’homme aime à cultiver un côté animal. Notre langage est ainsi peuplé de plus de bêtes que le monde merveilleux de Disney. On y trouve notamment des poissons qui ne savent pas nager et un lapin des plus contrariants...
J’ai franchi récemment un cap que, malgré mon éternelle insouciance, je ne risque pas de confondre avec la Bonne Espérance. Il s’agit en effet de celui de la cinquantaine. Ce fameux jubilé qui nous fait soudainement prendre conscience que notre barque est désormais plus proche de la berge d’en face que de celle de derrière. J’ai beau manger des bombecs et écouter mes vieux vinyles d’ACDC, rien n’y fait ; j’avance en âge ! Le sort de tout un chacun, me direz-vous, nouveaux-nés compris. Pas faux. Sauf que moi, je suis arrivé à ce moment du  voyage où l’on ressent pleinement jusqu’aux plus petites imperfections de la route.

AH, LA VACHE !

S’il me faut une preuve concrète du temps qui passe, outre le renflement croissant de la marre aux crocos (Haribo) qui me sert d’abdomen, l’expression que j’ai sortie à mon fils ce matin-même est tout indiquée. « Ce n’est pas à un vieux singe qu’on apprend à faire des grimaces », me suis-je entendu dire pour l’une des toutes premières fois de ma vie.
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Je voulais valoriser ainsi mon expérience de quinqua. Raté ! Je n’ai fait que creuser un peu plus ce fossé intergénérationnel qui me sépare de l’avenir de la Nation. Car il m’avait échappé jusqu’ici que les proverbes qui ont bercé mon enfance, n’ont quasiment plus cours chez les ados d’aujourd’hui. Nourris au rap et au YouTube, les pubères 2.0 manient davantage l’abréviation, l’acronyme, l’anglicisme ou l’arabisme que la locution animalière. La vie de chien a tourné à la VDM et le langage a viré du bestiaire au bestial. C’est bien dommage !

C'EST CHOUETTE !

Je vous l’avoue au risque de passer pour une vieille carne, je les aime bien, moi, toutes ces expressions qui mettent en scène nos amis les bêtes. Parce qu’elles donnent à nos conversations un côté imagé et enfantin. Combien de fois ai-je mis la charrue avant les bœufs, vendu la peau de l’ours avant de l’avoir tué, donné de la confiture aux cochons, compté les moutons avant de dormir comme un loir, pris le taureau par les cornes et mangé de la vache enragée ?

Un éléphant dans un magasin de porcelaine, une bouche en cul de poule, un chat dans la gorge, une vieille bique, une grenouille de bénitier, une oie blanche, un fin renard, un vieux loup de mer, le dindon de la farce, des larmes de crocodile, une tête de mule, une faim de loup, une fièvre de cheval, un temps de cochon, un froid de canard et un vent à décorner les bœufs : on a trente millions d’amis au bout de la langue !

COMME UN POISSON DANS L'EAU

D’où nous viennent tous ces emprunts au monde animal ? Beaucoup répondent d’une analogie évidente. Il n’est nul besoin d’être Christian Zuber (je suis allé le chercher loin, ce zèbre-là !) pour comprendre la taille de guêpe, les yeux de biche, le cou de girafe et les mollets de coq. D’autres nous ont été légués par quelques écrivains de génie tels Ésope et La Fontaine, fabuleux fabulistes, ou encore Aristote qui, dans son Éthique à Nicomaque, illustra l’idée qu’il ne faut jamais tirer une généralité d’un cas précis par ces mots passés à la postérité : « une hirondelle ne fait pas le printemps ».

« TOUS LES ANIMAUX CONNAISSENT CE QUI LEUR EST NÉCESSAIRE, EXCEPTÉ L'HOMME. »

Pline l'Ancien
Il est toutefois des formules aux origines plus mystérieuses. Ne vous êtes-vous jamais demandé, par exemple, pourquoi nous disons de quelqu’un qui nous embrouille l’esprit en multipliant les détails qu’il « noie le poisson » ? Foi de Cousteau, on n’a jamais vu un mérou avaler la tasse. Alors ? On doit cet idiotisme aux pêcheurs d’avant les grands chaluts. Pour casser la résistance d’une grosse prise, ceux-là la « noyaient », une technique consitant à multiplier les va-et-vient entre l’air et l’eau pour épuiser la bête.

LE LAPIN DES TAPINS

Des anecdotes comme celle-ci, j’en ai plein mon épuisette. Mais vous allez encore dire que je suis bavard comme une pie. Ce qui aurait pour effet de me vexer et de me rendre muet comme une carpe. Aussi me contenterai-je d’expliquer une dernière locution aux racines particulièrement croustillantes : poser un lapin. La simple observation d’un clapier suffit pour comprendre qu’un homme obsédé par sa carotte soit taxé de « chaud lapin ». Mais pourquoi évoque-t-on ce sympathique rongeur à la sexualité aussi débridée que son râble est délicieux, quand on plante son rancart sans prendre la peine de le prévenir ?

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Tout commence au XIXe siècle avec le développement des fêtes
foraines. Parmi les attractions en vogue, le jeu du tourniquet dont le gros lot était invariablement un lapin (en peluche ou en chair ou en os, je ne saurais vous le dire) que, bien sûr, nul ou presque ne gagnait. Une frustration qui en rappelait une autre aux prostituées de l’époque : celle qu’elles ressentaient quand un client, pas trop à cheval sur les principes, filait sans régler sa passe. Ainsi, dans le monde des julots, le Jeannot lapin s’est-il mis à désigner l’ardoise laissée par ce micheton indélicat. Et comme l’argot de l’époque confondait « faire poser » avec « faire attendre », ce malhonnête est devenu un « poseur de lapin ». Avec le temps, les grues ont pris l’habitude de se faire payer d’avance et l’expression a basculé dans le langage commun pour désigner un rendez-vous qui ne viendra jamais.

Et je ne sais pas vous, mais moi de savoir tout ça, ça me rend gai comme un pinson. Certes, ça ne change rien à ma vie, mais à sa fin, si ! Parce qu’à l’heure du chant du cygne, le vieux bourricot que je suis, mourra un peu moins con (et le plus tard possible).
Crédits photo :
Le lapin contrarié — Werner Detjen, via Pixabay
L'orang-outan : Titus Straunton, via Pixabay
Le lapin
- Erik Smit, via Pixabay
Et puisqu'il se dit qu'en France, tout se termine par une chanson, je vous offre celle-là :
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Cliquez sur la photo pour l'agrandir.
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Vieux cochon ou perdrix de l’année, malin comme un singe ou têtu comme un âne, l’homme aime à cultiver un côté animal. Notre langage est ainsi peuplé de plus de bêtes que le monde merveilleux de Disney. On y trouve notamment des poissons qui ne savent pas nager et un lapin des plus contrariants...
J’ai franchi récemment un cap que, malgré mon éternelle insouciance, je ne risque pas de confondre avec la Bonne Espérance. Il s’agit en effet de celui de la cinquantaine. Ce fameux jubilé qui nous fait soudainement prendre conscience que notre barque est désormais plus proche de la berge d’en face que de celle de derrière. J’ai beau manger des bombecs et écouter mes vieux vinyles d’ACDC, rien n’y fait ; j’avance en âge ! Le sort de tout un chacun, me direz-vous, nouveaux-nés compris. Pas faux. Sauf que moi, je suis arrivé à ce moment du  voyage où l’on ressent pleinement jusqu’aux plus petites imperfections de la route.

AH, LA VACHE !

S’il me faut une preuve concrète du temps qui passe, outre le renflement croissant de la marre aux crocos (Haribo) qui me sert d’abdomen, l’expression que j’ai sortie à mon fils ce matin-même est tout indiquée. « Ce n’est pas à un vieux singe qu’on apprend à faire des grimaces », me suis-je entendu dire pour l’une des toutes premières fois de ma vie.
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Je voulais valoriser ainsi mon expérience de quinqua. Raté ! Je n’ai fait que creuser un peu plus ce fossé intergénérationnel qui me sépare de l’avenir de la Nation. Car il m’avait échappé jusqu’ici que les proverbes qui ont bercé mon enfance, n’ont quasiment plus cours chez les ados d’aujourd’hui. Nourris au rap et au YouTube, les pubères 2.0 manient davantage l’abréviation, l’acronyme, l’anglicisme ou l’arabisme que la locution animalière. La vie de chien a tourné à la VDM et le langage a viré du bestiaire au bestial. C’est bien dommage !

C'EST CHOUETTE !

Je vous l’avoue au risque de passer pour une vieille carne, je les aime bien, moi, toutes ces expressions qui mettent en scène nos amis les bêtes. Parce qu’elles donnent à nos conversations un côté imagé et enfantin. Combien de fois ai-je mis la charrue avant les bœufs, vendu la peau de l’ours avant de l’avoir tué, donné de la confiture aux cochons, compté les moutons avant de dormir comme un loir, pris le taureau par les cornes et mangé de la vache enragée ?

Un éléphant dans un magasin de porcelaine, une bouche en cul de poule, un chat dans la gorge, une vieille bique, une grenouille de bénitier, une oie blanche, un fin renard, un vieux loup de mer, le dindon de la farce, des larmes de crocodile, une tête de mule, une faim de loup, une fièvre de cheval, un temps de cochon, un froid de canard et un vent à décorner les bœufs : on a trente millions d’amis au bout de la langue !

COMME UN
POISSON DANS L'EAU

D’où nous viennent tous ces emprunts au monde animal ? Beaucoup répondent d’une analogie évidente. Il n’est nul besoin d’être Christian Zuber (je suis allé le chercher loin, ce zèbre-là !) pour comprendre la taille de guêpe, les yeux de biche, le cou de girafe et les mollets de coq. D’autres nous ont été légués par quelques écrivains de génie tels Ésope et La Fontaine, fabuleux fabulistes, ou encore Aristote qui, dans son Éthique à Nicomaque, illustra l’idée qu’il ne faut jamais tirer une généralité d’un cas précis par ces mots passés à la postérité : « une hirondelle ne fait pas le printemps ».

« TOUS LES ANIMAUX CONNAISSENT CE QUI LEUR EST NÉCESSAIRE, EXCEPTÉ L'HOMME. »

Pline l'Ancien
Il est toutefois des formules aux origines plus mystérieuses. Ne vous êtes-vous jamais demandé, par exemple, pourquoi nous disons de quelqu’un qui nous embrouille l’esprit en multipliant les détails qu’il « noie le poisson » ? Foi de Cousteau, on n’a jamais vu un mérou avaler la tasse. Alors ? On doit cet idiotisme aux pêcheurs d’avant les grands chaluts. Pour casser la résistance d’une grosse prise, ceux-là la « noyaient », une technique consitant à multiplier les va-et-vient entre l’air et l’eau pour épuiser la bête.

LE LAPIN DES TAPINS

Des anecdotes comme celle-ci, j’en ai plein mon épuisette. Mais vous allez encore dire que je suis bavard comme une pie. Ce qui aurait pour effet de me vexer et de me rendre muet comme une carpe. Aussi me contenterai-je d’expliquer une dernière locution aux racines particulièrement croustillantes : poser un lapin. La simple observation d’un clapier suffit pour comprendre qu’un homme obsédé par sa carotte soit taxé de « chaud lapin ». Mais pourquoi évoque-t-on ce sympathique rongeur à la sexualité aussi débridée que son râble est délicieux, quand on plante son rancart sans prendre la peine de le prévenir ?

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Tout commence au XIXe siècle avec le développement des fêtes foraines. Parmi les attractions en vogue, le jeu du tourniquet dont le gros lot était invariablement un lapin (en peluche ou en chair ou en os, je ne saurais vous le dire) que, bien sûr, nul ou presque ne gagnait. Une frustration qui en rappelait une autre aux prostituées de l’époque : celle qu’elles ressentaient quand un client, pas trop à cheval sur les principes, filait sans régler sa passe. Ainsi, dans le monde des julots, le Jeannot lapin s’est-il mis à désigner l’ardoise laissée par ce micheton indélicat. Et comme l’argot de l’époque confondait « faire poser » avec « faire attendre », ce malhonnête est devenu un « poseur de lapin ». Avec le temps, les grues ont pris l’habitude de se faire payer d’avance et l’expression a basculé dans le langage commun pour désigner un rendez-vous qui ne viendra jamais.

Et je ne sais pas vous, mais moi de savoir tout ça, ça me rend gai comme un pinson. Certes, ça ne change rien à ma vie, mais à sa fin, si ! Parce qu’à l’heure du chant du cygne, le vieux bourricot que je suis, mourra un peu moins con (et le plus tard possible).
Crédits photo :
Le lapin contrarié — Werner Detjen, via Pixabay
L'orang-outan : Titus Straunton, via Pixabay
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