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Pourquoi pose-t-on un lapin (et noie-t-on le poisson) ?

Vieux cochon ou perdrix de l’année, malin comme un singe ou têtu comme un âne, l’homme aime à cultiver un côté animal. Notre langage est ainsi peuplé de plus de bêtes que le monde merveilleux de Disney. On y trouve notamment des poissons qui ne savent pas nager et un lapin des plus contrariants...

ÇA CHATOUILLE MOINS QUAND ÇA GAZOUILLE

Je m'en suis aperçu pas plus tard que ce matin, en bavardant tranquillement avec mon fils au petit déjeuner. Soudain, entre deux tartines, voilà que je lui lance un proverbe bien connu :  ce n’est pas à un vieux singe qu’on apprend à faire des grimaces. Que n’ai-je pas dit ! Loin de forcer le respect de ma progéniture, mes belles paroles censées valoriser mon expérience, pour ne pas dire ma sagesse, ont fait un four. C’est qu’il m’avait échappé jusqu’ici que, nourri au rap et au Squeezie, ma descendance, à l’image de toute la génération Z, manie moins la locution animalière que l’abréviation, l’acronyme, l’arabisme et, surtout, l’anglicisme. Sous peine de passer pour une vieille chouette, je dois me rendre à l’évidence : le langage a viré du bestiaire au bestial tant et si bien que la vie de chien a tourné à la VDM. Il n'empêche que je trouve ça regrettable.

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Parce que figurez-vous que je les aime bien, moi, ces expressions animalières. En premier lieu, je les trouve efficaces et cela me les rend précieuses ! Elles racontent si simplement et parfaitement nos états d'âmes, nos erreurs, nos angoisses, nos beautés comme nos défauts, bref, tout ce qui fait la vie. Combien de fois ai-je eu le cafard, mis la charrue avant les bœufs, pris le taureau par les cornes et compté les moutons jusqu’à dormir comme un loir ? Et ce qu’il y a de bien, c’est que tout ce que je viens de vous dire, vous l’avez compris et ce, du premier coup. C'est un peu comme le Qualité Filtre de Maxwell : ce n’est pas la peine d’en rajouter !


Tenez… Si je vous dis de quelqu’un qu’il a une langue de vipère, vous n’allez pas lui imaginer une seule seconde une langue fourchue. Non, vous comprendrez tout de suite qu’il a la sale manie de dire du mal des autres. Une métaphore un peu tirée par les cheveux – de Méduse – car la vipère, comme tous les serpents, n’a pas de cordes vocales. Si sa langue symbolise pourtant la médisance, cela tient moins à la conversation de ce reptile qu’à sa morsure qui, sans être forcément fatale, est toujours douloureuse. Comme certaines paroles...


Justement ! Quand certains mots vous blessent, les métaphores animales équivalentes, sans doute parce qu’elles ont quelque chose d'enfantin, vous égratignent à peine. Ainsi, aux insultes, nous devrions toujours préférer les noms d'oiseaux ; ils sont moins violents et, par conséquent, un tantinet plus... humains ! La dinde fait ainsi moins mal que la pétasse. L’oie blanche vaut mieux qu’une petite idiote. Une grue sera toujours moins vulgaire qu'une pute. Le jeune coq pardonne un peu l’arrogance d’un jeune homme. Quant à la cervelle de moineau, elle sonne bien plus joliment que « gros débile ».

UNE PLUME BIEN TREMPÉE

Un dernier exemple... Je ne sais pas vous, mais moi, je déteste qu'on me traite de lâche, de peureux, de péteux, de froussard ou, pire, de couilles molles. Mon ego en souffre trop ! À tout prendre, je préfère encore m'entendre qualifier de... poule mouillée. Certes, cette locution vieille comme le monde n’est pas des plus glorieuses, mais son comique pour le moins imagé la rend plus douce à mon amour-propre. D'où vient-elle ? De la simple observation d'un gallinacé rincé par une averse. Trempé jusqu’aux os, le volatile est alors transi de froid, prostré, pitoyable. La poule mouillée paraît ainsi plus craintive que jamais. Tout ça à cause de... son plumage qui, contrairement à celui des canards ou des oies, n’est pas imperméable.

Comme la poule mouillée, de nombreuses locutions animalières répondent d’une analogie flagrante. Il n’est nul besoin d’être un zoologue averti pour comprendre les cuisses de grenouille, les jambes de sauterelle, le cou de girafe, la taille de guêpe, les yeux de biches et les mollets de coq. De même, on peut raisonnablement penser qu’un truisme est également responsable de la pisse d’âne qui désigne une boisson insipide ou de l’haleine de chacal, celle à faire tomber les mouches. Mais dans un cas comme dans l’autre, je vous laisse le soin de le vérifier.
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Si notre sens de l’observation a enrichi notre vocabulaire, nos lectures en ont fait tout autant. Nous devons en effet certaines de nos idiotismes au génie de quelques écrivains. Je pense à Rabelais et à ses moutons de Panurge, du nom du compagnon de Pantagruel, qui, après avoir jeté un mouton à la mer, voit tout le reste du troupeau suivre cet animal. Je m’en voudrais de ne pas citer également Aristote qui, dans son Éthique à Nicomaque, illustre l’idée qu’un seul jour de bonheur ne suffit pas à nous rendre bienheureux par ces mots : une seule hirondelle ne fait pas le printemps. Ils sont passés à la postérité et nous en avons élargi le sens puisque, désormais, la formule sous-entend qu’il ne faut jamais tirer une généralité d’un cas précis.
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Et puis, évidemment, il y a Jean de La Fontaine et ses célèbres fables. Bon, disons-le tout de suite, au risque d’égratigner un monument de la littérature hexagonale, membre de l'Académie française (fauteuil 24) de 1684 à sa mort, le 13 avril 1695, l’encre de La Fontaine a coulé d’autant plus qu’elle a souvent pris sa source à celle des auteurs antiques. Citons en premier lieu le Grec Ésope, le premier des fabulistes, à qui on doit, entre autres, les versions originales de La Tortue et le Lièvre et Le Corbeau et le Renard. Phèdre, qui a repris plus d'une fois la prose de son compatriote pour en tirer des vers remarquables, a également inspiré notre Jeannot national. Pour autant, celui-ci n’a rien d’un plagiaire. Il a su enjoliver les mots de ses aînés, donner du rythme et de la fantaisie à leurs écrits, et expliciter la morale de leurs fables.
 
En témoigne ce qu’il a fait des paroles d’Horace. Dans L’art poétique, invitant les jeunes poètes a plus d’humilité que leur aînés d’alors, sous peine de décevoir leur public, cet écrivain romain a écrit : « bien entendu, tu ne commenceras pas, comme jadis le poète cyclique : “Je chanterai la destinée de Priam et la guerre fameuse…” Comment tenir une promesse faite d'une voix si éclatante ? La montagne va accoucher d'une ridicule petite souris. » Si notre Immortel reprend à son compte la formule — « la montagne a accouché d’une souris » —, il lui donne un sens bien plus large, dénonçant à travers elle tous ceux qui, comme dirait Shakespeare, font beaucoup de bruit pour rien. Aujourd'hui encore, nous l’utilisons volontiers pour moquer les promesses de nos politiques et les résultats insignifiants de leurs projets survendus. Telle, par exemple, la révolution promise en 2016 dans un essai signé par... Emmanuel Macron. 

UNE MONTAGNE EN MAL D'ENFANT
JETAIT UNE CLAMEUR SI HAUTE
QUE CHACUN, AU BRUIT ACCOURANT,
CRUT QU'ELLE ACCOUCHERAIT, SANS FAUTE,
D'UNE CITÉ PLUS GROSSE QUE PARIS ;
ELLE ACCOUCHA D'UNE SOURIS.

Jean de la Fontaine

Cette petite souris n’est pas le seul legs que nous a laissé l’académicien français. Plus de trois siècles après la publication de ses histoires moralisatrices, leurs personnages à plumes ou à poils continuent de hanter les écoliers à l’heure de la récitation et, plus encore, de nourrir nos conversations. C’est le cas, entre autres, de la fameuse poule aux œufs d’or, du petit poisson qui deviendra grand, de la cigale qui s’est imposée dans notre lexique comme l’incarnation même de l’insouciance et de l’ours dont, comme chacun le sait désormais, il ne faut pas vendre la peau avant de l’avoir tué.

COMME UN POISSON DANS L'EAU

Toutes les expressions animalières ne puisent pas leur source dans des analogies faciles ou des fables d’un autre temps. Loin de là ! On peut même dire que la majorité ont des racines bien plus énigmatiques. Ne vous êtes-vous jamais demandé, par exemple, pourquoi nous disons de quelqu’un, dès lors qu’il nous embrouille l’esprit en multipliant les détails qu’il « noie le poisson » ? Foi de Némo, a-t-on jamais vu un mérou avaler la tasse ? Alors, il nous vient d’où cet idiotisme ? Des pêcheurs à la ligne qui, à la Belle Époque, ont popularisé une technique infaillible pour venir à bout de leurs plus grosses prises : la noyade. Elle consiste à multiplier les va-et-vient du poisson entre l’air et l’eau, sitôt qu’il a mordu à l’hameçon. Tout à fait sonnée par ce supplice proche de celui de la baignoire, une torture popularisée par les inquisiteurs, ces saint-hommes mus par l’amour de Dieu et de leurs prochains, la bête se laisse alors ramener sans plus de résistance.

Outre « noyer le poisson », nous avons pêché dans l’océan bien d’autres expressions. Ainsi, le maquereau et la morue désignent-ils tout aussi bien le proxénète et la prostituée que ceux et celles qui, dans la vie, agissent comme tels. Le thon est le cauchemar des pistes de danse, surtout s'il est plat comme une limande. Les spéculateurs, eux, sont les requins de la finance tandis que l'avare a des oursins dans les poches. Aïe, ça pique ! Parce que l'amour rend bête et heureux, les amoureux ont des yeux de merlan frit. L'expression qui, à l'origine, au XVIIIe siècle, parlait de « carpe frite » s'inspire évidemment du regard mort et exhorbité d'un poisson passé à la poêle. On parle également d’un charisme d’huître et d’une mémoire de poisson rouge quand il manque de l’un comme de l’autre. Et pourquoi se marre-t-on comme une baleine ? Parce qu’on ouvre alors grand sa bouche comme un cétacé qui gobe un banc de krill.
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Il est cependant à noter que nos voisins néerlandais préfèrent Cheetah à Moby Dick, puisque chez eux, quand on se bidonne, on ne se marre pas comme une baleine, mais « on se rit un singe ». C’est que la métaphore animalière n’a rien d’universel. En lieu et place de notre chat, les Allemands et les Belges ont une grenouille dans la gorge et les Italiens et les Portugais un crapaud. Un Polonais n’est pas malade comme un chien, mais comme un chat, tandis qu’un Brésilien ne saute pas du coq à l’âne mais passe du canard à l’oie. Et si, en France, la dette publique disparaîtra quand les poules auront des dents, ce miracle se produira quand les veaux seront tondus chez les Albanais, quand les grenouilles auront des poils pour les Espagnols, et, selon les sujets de sa gracieuse majesté Charles III, quand les cochons voleront (ou les vaches pour les Argentins et les poissons pour les Allemands). Dans tous les cas, convenons-en, cela nous laisse peu d’espoir.

LE LAPIN DES TAPINS

Des anecdotes sur l’origine des expressions animalières, j’en ai plein mon épuisette. Mais vous allez encore dire que je suis bavard comme une pie. Ce qui aurait pour effet de me vexer et de me rendre muet comme une carpe. Aussi me contenterai-je d’expliquer une dernière locution aux racines particulièrement croustillantes : poser un lapin. La simple observation d’un clapier suffit pour comprendre qu’un homme obsédé par sa carotte soit taxé de « chaud lapin ». Mais pourquoi évoque-t-on ce sympathique rongeur à la sexualité aussi débridée que son râble est délicieux quand on plante son rancart sans prendre la peine de le prévenir ?


Tout commence au XIXe siècle avec le développement des fêtes foraines. Parmi les attractions en vogue, le jeu du tourniquet. C’était une sorte de roulette du pauvre dont le gros lot était invariablement un lapin. Était-il en peluche, en terrine ou en chair et en os, je ne saurais vous le dire. Le jeu était-il truqué ? Là non plus, je n’ai pas de réponse. Mais une chose est certaine : il n’y avait quasiment jamais de gagnant. Tout le monde s’imaginait remporter facilement la mise et s’en repartait pourtant les mains vides. Une frustration qui en rappelait une autre aux prostituées de l’époque : celle qu’elles éprouvaient à chaque fois qu’un client, pas trop à cheval sur les principes, filait sans régler sa passe, les deux parties se séparant ainsi les bourses vides. Ainsi, dans le monde des julots, le Jeannot lapin du tourniquet a-t-il fini par désigner l’ardoise laissée par un micheton indélicat. Cet escroc devenant, du même coup, un « poseur de lapin ».

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Avec le temps, les péripatéticiennes prirent l’habitude de se faire payer d’avance pour s’éviter du mauvais gibier. L’expression « poser un lapin » aurait dû alors disparaître, tout comme les mauvais payeurs qui l’avaient inspirée. C’était sans compter sur les étudiants qui, à la fin du XIXe siècle, la sortirent de l’oubli pour désigner un rendez-vous galant non honoré. Pour eux, en effet, cette promesse non tenue était aussi fâcheuse que celle d’un miché malhonnête. Et c’est ainsi que ce lapin de mauvais goût a basculé dans le langage commun et je jurerai que je ne suis pas le seul à en connaître l'amertume.


Et je ne sais pas vous, mais moi de savoir tout ça, ça me rend gai comme un pinson. Certes, ça ne change rien à ma vie, mais ça me promet une mort plus douce. Parce que, voyez-vous, même si j'espère que notre rendez-vous viendra le plus tard possible, je ne me fais pas d'illusions : celle-ci ne me posera certainement pas un lapin. Or, ce qui me console, pour ne pas dire ce qui me ravit, c’est qu’à l’heure du chant du cygne, le vieux bourricot que je suis partira un peu moins bête.

Crédits photo :
Le lapin contrarié : Werner Detjen, via Pixabay
L'orang-outan : Titus Straunton, via Pixabay
La biche : Taviphoto, via iStock
La baleine : Suebsiri, via iStock
Le lapin
Erik Smit, via Pixabay
Et puisqu'il se dit qu'en France tout se termine par une chanson, je vous offre celle-là (qui est « à se rire un singe » !) :
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Pourquoi les femmes s’expriment bruyamment pendant l’amour (même quand il est tard) ?
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Pourquoi Bernard Hinault est surnommé le Blaireau (et Laura Flessel la Guêpe) ?
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Pourquoi la Terre est ronde (mais pas tout à fait) ?
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Pourquoi les Anglais conduisent à gauche (et les Japonais aussi) ?
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Pourquoi
pose-t-on un lapin (et noie-t-on le poisson) ?

Vieux cochon ou perdrix de l’année, malin comme un singe ou têtu comme un âne, l’homme aime à cultiver un côté animal. Notre langage est ainsi peuplé de plus de bêtes que le monde merveilleux de Disney. On y trouve notamment des poissons qui ne savent pas nager et un lapin des plus contrariants…

Vous a-t-on déjà traité de vieux cochon ou d’âne bâté ? Vous a-t-on pris un jour pour un pigeon ou le dindon de la farce ? Ça ne risque pas ? Tiens donc ! Et pourquoi ? Ah oui, bien sûr, parce que vous êtes rusé comme un renard, malin comme un singe. Vous voulez mon avis ? Non. Ben, je vous le donne quand même ! Vous êtes surtout fier comme un paon.


Ok, ok, stop, on en reste là. Temps mort, comme on dit sur les parquets. Inutile de se fâcher ; je ne veux pas vous vexer. Si j’ai cherché la petite bête, c’est juste pour souligner à quel point nos conversations ont quelque chose d'une grande ménagerie. Un éléphant dans un magasin de porcelaine, une bouche en cul de poule, un chat dans la gorge, une vieille bique, une grenouille de bénitier, un vieux loup de mer, des larmes de crocodile, une tête de mule, une faim de loup, une fièvre de cheval, un temps de cochon, un froid de canard et un vent à décorner les bœufs : on a trente millions d’amis au bout de la langue.

ÇA CHATOUILLE MOINS QUAND ÇA GAZOUILLE

Je m'en suis aperçu pas plus tard que ce matin, en bavardant tranquillement avec mon fils au petit déjeuner. Soudain, entre deux tartines, voilà que je lui lance un proverbe bien connu :  ce n’est pas à un vieux singe qu’on apprend à faire des grimaces. Que n’ai-je pas dit ! Loin de forcer le respect de ma progéniture, mes belles paroles censées valoriser mon expérience, pour ne pas dire ma sagesse, ont fait un four. C’est qu’il m’avait échappé jusqu’ici que, nourri au rap et au Squeezie, ma descendance, à l’image de toute la génération Z, manie moins la locution animalière que l’abréviation, l’acronyme, l’arabisme et, surtout, l’anglicisme. Sous peine de passer pour une vieille chouette, je dois me rendre à l’évidence : le langage a viré du bestiaire au bestial tant et si bien que la vie de chien a tourné à la VDM. Il n'empêche que je trouve ça regrettable.

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Parce que figurez-vous que je les aime bien, moi, ces expressions animalières. En premier lieu, je les trouve efficaces et cela me les rend précieuses ! Elles racontent si simplement et parfaitement nos états d'âmes, nos erreurs, nos angoisses, nos beautés comme nos défauts, bref, tout ce qui fait la vie. Combien de fois ai-je eu le cafard, mis la charrue avant les bœufs, pris le taureau par les cornes et compté les moutons jusqu’à dormir comme un loir ? Et ce qu’il y a de bien, c’est que tout ce que je viens de vous dire, vous l’avez compris et ce, du premier coup. C'est un peu comme le Qualité Filtre de Maxwell : ce n’est pas la peine d’en rajouter !


Tenez… Si je vous dis de quelqu’un qu’il a une langue de vipère, vous n’allez pas lui imaginer une seule seconde une langue fourchue. Non, vous comprendrez tout de suite qu’il a la sale manie de dire du mal des autres. Une métaphore un peu tirée par les cheveux – de Méduse – car la vipère, comme tous les serpents, n’a pas de cordes vocales. Si sa langue symbolise pourtant la médisance, cela tient moins à la conversation de ce reptile qu’à sa morsure qui, sans être forcément fatale, est toujours douloureuse. Comme certaines paroles...


Justement ! Quand certains mots vous blessent, les métaphores animales équivalentes, sans doute parce qu’elles ont quelque chose d'enfantin, vous égratignent à peine. Ainsi, aux insultes, nous devrions toujours préférer les noms d'oiseaux ; ils sont moins violents et, par conséquent, un tantinet plus... humains ! La dinde fait ainsi moins mal que la pétasse. L’oie blanche vaut mieux qu’une petite idiote. Une grue sera toujours moins vulgaire qu'une pute. Le jeune coq pardonne un peu l’arrogance d’un jeune homme. Quant à la cervelle de moineau, elle sonne bien plus joliment que « gros débile ».

UNE PLUME BIEN TREMPÉE

Un dernier exemple... Je ne sais pas vous, mais moi, je déteste qu'on me traite de lâche, de peureux, de péteux, de froussard ou, pire, de couilles molles. Mon ego en souffre trop ! À tout prendre, je préfère encore m'entendre qualifier de... poule mouillée. Certes, cette locution vieille comme le monde n’est pas des plus glorieuses, mais son comique pour le moins imagé la rend plus douce à mon amour-propre. D'où vient-elle ? De la simple observation d'un gallinacé rincé par une averse. Trempé jusqu’aux os, le volatile est alors transi de froid, prostré, pitoyable. La poule mouillée paraît ainsi plus craintive que jamais. Tout ça à cause de... son plumage qui, contrairement à celui des canards ou des oies, n’est pas imperméable.

Comme la poule mouillée, de nombreuses locutions animalières répondent d’une analogie flagrante. Il n’est nul besoin d’être un zoologue averti pour comprendre les cuisses de grenouille, les jambes de sauterelle, le cou de girafe, la taille de guêpe, les yeux de biches et les mollets de coq. De même, on peut raisonnablement penser qu’un truisme est également responsable de la pisse d’âne qui désigne une boisson insipide ou de l’haleine de chacal, celle à faire tomber les mouches. Mais dans un cas comme dans l’autre, je vous laisse le soin de le vérifier.
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Si notre sens de l’observation a enrichi notre vocabulaire, nos lectures en ont fait tout autant. Nous devons en effet certaines de nos idiotismes au génie de quelques écrivains. Je pense à Rabelais et à ses moutons de Panurge, du nom du compagnon de Pantagruel, qui, après avoir jeté un mouton à la mer, voit tout le reste du troupeau suivre cet animal. Je m’en voudrais de ne pas citer également Aristote qui, dans son Éthique à Nicomaque, illustre l’idée qu’un seul jour de bonheur ne suffit pas à nous rendre bienheureux par ces mots : une seule hirondelle ne fait pas le printemps. Ils sont passés à la postérité et nous en avons élargi le sens puisque, désormais, la formule sous-entend qu’il ne faut jamais tirer une généralité d’un cas précis.

Et puis, évidemment, il y a Jean de La Fontaine et ses célèbres fables. Bon, disons-le tout de suite, au risque d’égratigner un monument de la littérature hexagonale, membre de l'Académie française (fauteuil 24) de 1684 à sa mort, le 13 avril 1695, l’encre de La Fontaine a coulé d’autant plus qu’elle a souvent pris sa source à celle des auteurs antiques. Citons en premier lieu le Grec Ésope, le premier des fabulistes, à qui on doit, entre autres, les versions originales de La Tortue et le Lièvre et Le Corbeau et le Renard. Phèdre, qui a repris plus d'une fois la prose de son compatriote pour en tirer des vers remarquables, a également inspiré notre Jeannot national. Pour autant, celui-ci n’a rien d’un plagiaire. Il a su enjoliver les mots de ses aînés, donner du rythme et de la fantaisie à leurs écrits, et expliciter la morale de leurs fables.
 
En témoigne ce qu’il a fait des paroles d’Horace. Dans L’art poétique, invitant les jeunes poètes a plus d’humilité que leur aînés d’alors, sous peine de décevoir leur public, cet écrivain romain a écrit : « bien entendu, tu ne commenceras pas, comme jadis le poète cyclique : “Je chanterai la destinée de Priam et la guerre fameuse…” Comment tenir une promesse faite d'une voix si éclatante ? La montagne va accoucher d'une ridicule petite souris. » Si notre Immortel reprend à son compte la formule — « la montagne a accouché d’une souris » —, il lui donne un sens bien plus large, dénonçant à travers elle tous ceux qui, comme dirait Shakespeare, font beaucoup de bruit pour rien. Aujourd'hui encore, nous l’utilisons volontiers pour moquer les promesses de nos politiques et les résultats insignifiants de leurs projets survendus. Telle, par exemple, la révolution promise en 2016 dans un essai signé par... Emmanuel Macron. 

UNE MONTAGNE EN MAL D'ENFANT JETAIT UNE CLAMEUR SI HAUTE QUE CHACUN, AU BRUIT ACCOURANT, CRUT QU'ELLE ACCOUCHERAIT, SANS FAUTE, D'UNE CITÉ PLUS GROSSE QUE PARIS ; ELLE ACCOUCHA D'UNE SOURIS.

Jean de la Fontaine

Cette petite souris n’est pas le seul legs que nous a laissé l’académicien français. Plus de trois siècles après la publication de ses histoires moralisatrices, leurs personnages à plumes ou à poils continuent de hanter les écoliers à l’heure de la récitation et, plus encore, de nourrir nos conversations. C’est le cas, entre autres, de la fameuse poule aux œufs d’or, du petit poisson qui deviendra grand, de la cigale qui s’est imposée dans notre lexique comme l’incarnation même de l’insouciance et de l’ours dont, comme chacun le sait désormais, il ne faut pas vendre la peau avant de l’avoir tué.

COMME UN POISSON
DANS L'EAU

Toutes les expressions animalières ne puisent pas leur source dans des analogies faciles ou des fables d’un autre temps. Loin de là ! On peut même dire que la majorité ont des racines bien plus énigmatiques. Ne vous êtes-vous jamais demandé, par exemple, pourquoi nous disons de quelqu’un, dès lors qu’il nous embrouille l’esprit en multipliant les détails qu’il « noie le poisson » ? Foi de Némo, a-t-on jamais vu un mérou avaler la tasse ? Alors, il nous vient d’où cet idiotisme ? Des pêcheurs à la ligne qui, à la Belle Époque, ont popularisé une technique infaillible pour venir à bout de leurs plus grosses prises : la noyade. Elle consiste à multiplier les va-et-vient du poisson entre l’air et l’eau, sitôt qu’il a mordu à l’hameçon. Tout à fait sonnée par ce supplice proche de celui de la baignoire, une torture popularisée par les inquisiteurs, ces saint-hommes mus par l’amour de Dieu et de leurs prochains, la bête se laisse alors ramener sans plus de résistance.

Outre « noyer le poisson », nous avons pêché dans l’océan bien d’autres expressions. Ainsi, le maquereau et la morue désignent-ils tout aussi bien le proxénète et la prostituée que ceux et celles qui, dans la vie, agissent comme tels. Le thon est le cauchemar des pistes de danse, surtout s'il est plat comme une limande. Les spéculateurs, eux, sont les requins de la finance tandis que l'avare a des oursins dans les poches. Aïe, ça pique ! Parce que l'amour rend bête et heureux, les amoureux ont des yeux de merlan frit. L'expresssion qui, à l'origine, au XVIIIe siècle, parlait de « carpe frite » s'inspire évidemment du regard mort et exhorbité d'un poisson passé à la poêle. On parle également d’un charisme d’huître et d’une mémoire de poisson rouge quand il manque de l’un comme de l’autre. Et pourquoi se marre-t-on comme une baleine ? Parce qu’on ouvre alors grand sa bouche comme un cétacé qui gobe un banc de krill.
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Il est cependant à noter que nos voisins néerlandais préfèrent Cheetah à Moby Dick, puisque chez eux, quand on se bidonne, on ne se marre pas comme une baleine, mais « on se rit un singe ». C’est que la métaphore animalière n’a rien d’universel. En lieu et place de notre chat, les Allemands et les Belges ont une grenouille dans la gorge et les Italiens et les Portugais un crapaud. Un Polonais n’est pas malade comme un chien, mais comme un chat, tandis qu’un Brésilien ne saute pas du coq à l’âne mais passe du canard à l’oie. Et si, en France, la dette publique disparaîtra quand les poules auront des dents, ce miracle se produira quand les veaux seront tondus chez les Albanais, quand les grenouilles auront des poils pour les Espagnols, et, selon les sujets de sa gracieuse majesté Charles III, quand les cochons voleront (ou les vaches pour les Argentins et les poissons pour les Allemands). Dans tous les cas, convenons-en, cela nous laisse peu d’espoir.

LE LAPIN DES TAPINS

Des anecdotes sur l’origine des expressions animalières, j’en ai plein mon épuisette. Mais vous allez encore dire que je suis bavard comme une pie. Ce qui aurait pour effet de me vexer et de me rendre muet comme une carpe. Aussi me contenterai-je d’expliquer une dernière locution aux racines particulièrement croustillantes : poser un lapin. La simple observation d’un clapier suffit pour comprendre qu’un homme obsédé par sa carotte soit taxé de « chaud lapin ». Mais pourquoi évoque-t-on ce sympathique rongeur à la sexualité aussi débridée que son râble est délicieux quand on plante son rancart sans prendre la peine de le prévenir ?


Tout commence au XIXe siècle avec le développement des fêtes foraines. Parmi les attractions en vogue, le jeu du tourniquet. C’était une sorte de roulette du pauvre dont le gros lot était invariablement un lapin. Était-il en peluche, en terrine ou en chair et en os, je ne saurais vous le dire. Le jeu était-il truqué ? Là non plus, je n’ai pas de réponse. Mais une chose est certaine : il n’y avait quasiment jamais de gagnant. Tout le monde s’imaginait remporter facilement la mise et s’en repartait pourtant les mains vides. Une frustration qui en rappelait une autre aux prostituées de l’époque : celle qu’elles éprouvaient à chaque fois qu’un client, pas trop à cheval sur les principes, filait sans régler sa passe, les deux parties se séparant ainsi les bourses vides. Ainsi, dans le monde des julots, le Jeannot lapin du tourniquet a-t-il fini par désigner l’ardoise laissée par un micheton indélicat. Cet escroc devenant, du même coup, un « poseur de lapin ».

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Avec le temps, les péripatéticiennes prirent l’habitude de se faire payer d’avance pour s’éviter du mauvais gibier. L’expression « poser un lapin » aurait dû alors disparaître, tout comme les mauvais payeurs qui l’avaient inspirée. C’était sans compter sur les étudiants qui, à la fin du XIXe siècle, la sortirent de l’oubli pour désigner un rendez-vous galant non honoré. Pour eux, en effet, cette promesse non tenue était aussi fâcheuse que celle d’un miché malhonnête. Et c’est ainsi que ce lapin de mauvais goût a basculé dans le langage commun et je jurerai que je ne suis pas le seul à en connaître l'amertume.

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Et je ne sais pas vous, mais moi de savoir tout ça, ça me rend gai comme un pinson. Certes, ça ne change rien à ma vie, mais ça me promet une mort plus douce. Parce que, voyez-vous, même si j'espère que notre rendez-vous viendra le plus tard possible, je ne me fais pas d'illusions : celle-ci ne me posera certainement pas un lapin. Or, ce qui me console, pour ne pas dire ce qui me ravit, c’est qu’à l’heure du chant du cygne, le vieux bourricot que je suis partira un peu moins bête.

Crédits photo :
Le lapin contrarié : Werner Detjen, via Pixabay
L'orang-outan : Titus Straunton, via Pixabay
La biche : Taviphoto, via iStock
La baleine : Suebsiri, via iStock
Le lapin : Erik Smit, via Pixabay
Et puisqu'il se dit qu'en France tout se termine par une chanson, je vous offre celle-là (qui est « à se rire un singe ») :
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Pourquoi les femmes s’expriment bruyamment pendant l’amour (même quand il est tard) ?
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Pourquoi Bernard Hinault est surnommé le Blaireau (et Laura Flessel la Guêpe) ?
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Pourquoi la Terre est ronde (mais pas tout à fait) ?
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Pourquoi les Anglais conduisent à gauche (et les Japonais aussi) ?