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Pourquoi (le tsar) Ivan IV est surnommé « le Terrible » ?

Il a assurément sa place au banquet de l’horreur, aux côtés des Pol Pot, Kim Il Sung, Hitler, Idi Amin Dada et autres tyrans sanguinaires. Ivan IV dit « le Terrible » a régné sur la Russie avec une férocité que seul Staline, l’un de ses successeurs, peut lui disputer.

Le XVIe siècle est sans aucun doute l’une des périodes les plus contrastées de l’Histoire. Il se confond avec la Renaissance et ses artistes de génie : Vinci, Botticelli, Michel-Ange, Brunelleschi et tant d’autres. Mais, dans le même temps, il faut bien l’avouer, il est également souillé de pas mal de ces monstruosités dont l’Humanité a le secret. Il a ainsi vu la destruction des civilisations aztèques et incas par quelques centaines de conquistadors assoiffés d’or, l’essor du commerce triangulaire qui, durant des siècles, réduira en esclavage des millions d’Africains sur le sol américain, la généralisation de la torture dans les geôles de l’Inquisition espagnole ou bien encore les guerres de religion entre catholiques et protestants, une lutte qui atteignit son paroxysme avec le massacre de la Saint-Barthélemy.

Bref, l’époque est aussi saignante qu’un rumsteck fraîchement tranché par le boucher. D’autant qu’elle a également vu le règne de l’un des pires tyrans de l’Histoire : Ivan IV Vassiliévitch, alias Ivan le Terrible. Qu’a-t-il fait pour mériter ce qualificatif sinistre ? En un sens, rien. C’est une traduction maladroite qui en est à l’origine. À la base, en effet, ses sujets l’appelaient Ivan Groznyy, Ivan le Redoutable, en écho aux conquêtes du bonhomme qui, triomphant principalement des Tatars, transforma la Moscovie, la principauté dont il avait hérité, en l’une des nations les plus puissantes d’Europe : le Tsarat de Russie. Mais les Occidentaux, interpellés bien davantage par la cruauté de ce souverain que par ses lointaines conquêtes, ont confondu « redoutable » avec « redouté », associant dès lors le mot groznyy à « terrible ». Et comme, finalement, le terme lui va comme un gant, il lui est resté.

LE PÈRE DE LA RUSSIE

Avant d’aller plus loin, rendons au tsar ce qui est au tsar… Ivan IV est indéniablement l’un des « faiseurs » de la Russie que nous connaissons aujourd’hui. Par ses réformes et ses batailles, il a jeté les bases de l’une des plus grandes puissances mondiales. On lui doit ainsi le premier parlement russe, la première imprimerie du pays ou encore son premier code pénal. Particulièrement pieux (une dévotion dont témoigne la magnifique cathédrale Basile-le-Bienheureux qu’il fit ériger en 1555 pour commémorer sa victoire sur les Tatars de Kazan), il sut également structurer et recadrer l’Église orthodoxe, lui imposant un comportement exemplaire et, du même coup, lui évitant une « contre-Réforme » et les guerres de religion qui firent tant de mal à l’Europe catholique.

Visionnaire, le tsar raccrocha également son empire à l’Europe de l’Ouest, nouant des liens étroits avec ses principales puissances. À commencer par le royaume d’Angleterre avec lequel il entretint tout au long de son règne des relations commerciales fructueuses. Son admiration pour ce pays fut telle qu’on lui prête aujourd’hui encore un projet de mariage avec Élisabeth Ière, the Virgin Queen. Mais, s’il était résolument tourné vers l’Ouest, Ivan n’en oubliait pas pour autant l’Est de son empire,. C’est ainsi qu’il favorisa la main-mise des frères Strogonov, les premiers des milliardaires russes, la fortune de ces commerçants ridiculisant le compte en banque de l’oligarque le plus comblé, sur l’immense Sibérie.

Aujourd’hui encore, toutes ces actions lui valent l’admiration de nombreux de ses compatriotes, gavés qu’ils sont de propagande nationaliste. C’est ainsi qu’en 2016, un certain Vadim Potomski, gouverneur de la région d’Orel, une ville russe de près de 400 000 habitants, a inauguré dans cette même ville un superbe bronze à l’effigie du monarque. Un hommage qui, une nouvelle fois, nous prouve que, décidément, les hommes ont la mémoire courte ! Car, s’il a incontestablement œuvré à la grandeur de son pays, Ivan IV le fit également vivre sous cette terreur que sous-entend son doux surnom.

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L'imposante statue d'Ivan le Terrible, installée depuis 2016 devant l'église de l'Épiphanie, le plus vieil édifice religieux de la ville d'Orel.

DE LA HAINE À L'AMOUR...

N’en déplaise à ses actuels admirateurs, Ivan fut vraiment terrible, pour ne pas dire horrible. « Responsable, mais pas coupable », plaideront ses plus fervents défenseurs. C’est vrai : la vie ne s’est pas toujours montrée très tendre avec le tsar. Orphelin de père à trois ans, il perd sa mère cinq ans plus tard, les boyards, les grands aristocrates moscovites, ayant sans doute empoisonné cette autocrate assumée. Ivan devient dès lors la marionnette des Chouiski, la famille la plus puissante de la principauté moscovite. Très vite, ce clan sans scrupules isole un peu plus l’orphelin en le privant brutalement d’Agraféna, sa nourrice adorée, exilée brutalement dans un couvent, au fin fond du pays. Bientôt commencent les sévices : le petit Ivan est battu, négligé au point d’en être affamé, forcé d’assister aux tortures et exécutions des rivaux de ses tuteurs. Il vous en viendrait une haine farouche de vos semblables pour moins que ça.

Et c’est bien ce qui se passe ! Sa colère, le jeune Ivan la retourne tout d’abord contre les animaux. À l’âge où nos chères têtes blondes passent leur temps devant leurs jeux vidéos, lui, déplume, découpe, énuclée des oiseaux vivants, et balance des chiens par ses fenêtres pour le seul plaisir d’entendre leurs cris de douleur et le gémissement qui accompagne leur agonie. On en trouverait presque la Playstation et Call of duty éducatifs !

Arrive l’adolescence et de nouvelles réjouissances. Avec des chiens encore… Ceux, féroces, qu’il lâche contre le Prince Andreï Chouiski, laissant les bêtes dévorer littéralement leur proie. Ce jour-là, la peur change de camp pour toujours et le jeune prince s’en régale jusqu’à plus soif. Il exécute ses opposants ou ceux qu’il suspecte de l’être, renversent sans vergogne ceux qui ont le malheur de croiser son chemin lors de ses folles cavalcades dans les rues de Moscou, viole d’innocentes paysannes au hasard de parties de chasse sanglantes. Sa violence semble sans limites. Elle va pourtant en trouver une ; c’est l’amour qui va l’arrêter.

Anastasia Romanova (dont la famille donnera un jour à la Russie la plus célèbre de ses dynasties) a dix-sept ans quand Ivan la choisit pour épouse parmi plus d’un millier de prétendantes. Elle est belle, très belle et, plus encore, elle est douce et attentionnée. Tant est si bien que le jeune chien enragé, goûtant à nouveau à une tendresse qu’il pensait perdue à jamais, en oublie de mordre. C’est pendant cette période qu’il réforme le pays, se fait respecter de ses sujets et craindre de ses ennemis, gagnant alors sa réputation de « redoutable ». Un âge d’or qui dure treize ans, jusqu’à la mort de la Tsarine, en 1560. Fou de douleur, son époux est alors persuadé que celle qu'il aimait appeler « ma petite génisse » a péri empoisonné (ce qu’est venu confirmer, il y a quelques années, l’analyse de sa dépouille, révélant des traces de mercure et d’arsenic). Il crie vengeance.

...DE L'AMOUR À LA HAINE !

Son épouse vénérée à peine enterrée, Ivan reprend ses exécutions, sa furie n’épargnant personne. Des familles entières, dont certaines lui sont pourtant proches, sont mises à mort. Ainsi, parce que tsar doute de longue date de sa fidélité, le soupçonnant même d’être à l’origine de son deuil, son cousin Vladimir est invité à boire le poison qui, d’après le Tsar, aurait tué Anastasia. Tournée générale ! La femme et les enfants du condamné partagent son dernier verre. Une mort douce en regard du sort de ceux qui suivirent.

Pendant plus de vingt ans, au comble du sadisme, Ivan rivalise en effet d’imagination lorsqu’il s’agit d’exécuter ses victimes, les faisant périr à coup de fouet, découpés à la scie, empalés (tel le Prince Dimitri Telepnev qui meurt lentement, en assistant au viol de sa mère), dévorés par des ours ou bien, comme Bomelius, son médecin personnel, rôtis à la broche. Le supplice le plus raffiné : celui des deux chaudrons, l’un d’eau bouillante, l’autre d’eau glacée, dans lesquels le condamné est alternativement plongé jusqu’à ce que sa peau se détache de ses os ! Un must dont ce joyeux drille d’Ivan se divertit régulièrement. Après tout, à chacun ses plaisirs.

« POUR LES BONS, LA COMPASSION, LA DOUCEUR ET LA PAIX. MAIS, POUR LES MAUVAIS, LA CRUAUTÉ ET LA SOUFFRANCE ! »

Ivan le Terrible

Finies les réformes ! Le règne tourne à la tyrannie. En 1565, le Tsar confisque ainsi les terres des plus grandes familles de sa noblesse pour se constituer un immense domaine : l’Opritchnina. Il le met alors sous la coupe des opritchniks, plus d’un millier de cavaliers (jusqu’à six mille à leur apogée), aussi cruels que leur souverain. Ces miliciens sans foi ni loi sévissent pendant sept ans, massacrant, violant, torturant à tour de bras. On leur prête ainsi plus de dix mille assassinats. Sans compter la population de Novgorod, une cité russe florissante. Bien trop florissante ! Ivan jalouse sa réussite éblouissante, tant et si bien qu’il accuse ses habitants de comploter avec l’ennemi polonais. Il encercle la ville et lâche sur elle son escadron de la mort. Rares sont les survivants, les cadavres de dizaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants rougissant de leur sang les eaux de la Volkhov, la rivière voisine.

Néanmoins, comme chacun le sait, toutes les bonnes choses ont une fin. Les opritchniks vont l’apprendre à leurs dépens quand, en 1571, un an après la dévastation de Novgorod, le Tsar de toutes les Russies, déçu de la passivité de ses troupes lors de l’attaque de Moscou par les Tatars de Crimée, décide de dissoudre leur organisation criminelle, non sans en faire exécuter les chefs. Comme quoi, il y a une justice en ce bas monde.

LE MEURTRE DE TROP

Symbole de la folie meurtrière du tsar, l’épieu de fer dont il s’est fait un sceptre. Il ne le quitte jamais. Il pique, embroche, assomme ceux qui, croisant son chemin, ont le tort de lui déplaire. Telle Elena, la femme d’Ivan, son fils aîné, dont elle attend un enfant. Un jour de novembre 1581, il lui rend une visite surprise dans ses appartements. Il la surprend alors dans une tenue qu’il juge inconvenante et, pris d’une rage folle, sans commune mesure avec le négligé de sa bru, Ivan la rosse tant et plus que, le soir même, elle fait une fausse couche. Averti de son infortune, le Tsarévitch file demander des comptes à son père. Celui-ci digère mal les remontrances du rejeton et se fend d’un grand coup d’épieu qui atteint son fils en pleine tempe. Il n’y survit pas.

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Ivan le Terrible tue son fils (1885), peinture à l'huile (199,5 × 254 cm) d'Ilia Répine (tableau conservé à la galerie Tretiakov, à Moscou).

Ivan le Terrible ne se remettra jamais de la mort de son héritier. Pas plus que l’empire qu’il aura mit une vie à construire. À la mort du tsar, le 18 mars 1584, après que les remords et le chagrin l’aient rongé jusqu’à la moelle, Fedor, son cadet, lui succède. Un retardé mental dont le règne plongera le pays dans un chaos dont il ne se relèvera qu’un siècle plus tard avec l’avènement de Pierre Ier, celui qui, véritablement, a fait de la Russie un Empire moderne, craint et respecté dans le monde entier.

Voilà pourquoi, alors même que les deux hommes ont partagé la même couronne, les mêmes ambitions et le même appétit de conquête, l’Histoire a retenu de Pierre qu’il était Grand tandis qu’Ivan est à jamais le Terrible. Libre aux Russes de célébrer le premier ; le fondateur de Saint-Pétersbourg fut sans aucun doute l’un des plus grands monarques de son temps. En revanche, qu’il y ait parmi les fidèles de Poutine des gens, tel le gouverneur d’Orel, pour élever des statues au second, qui n'est jamais qu'un pur psychopathe, m’interroge sur la bêtise humaine. Et je ne sais pas vous, mais moi, de savoir que je vais mourir moins con (et le plus tard possible) que ceux qui préfèrent leurs tyrans à ces lumières que sont Tolstoï, Rachmaninov, Noureev, Chagall, Tchekhov ou Tchaïkovsky, ça me ravit.

Illustrations :
1 - Viktor Mikhailovich Vasnetsov / Public domain - Wikipedia
2 - Yingko - Adobe Stock
3 - Ilya Repin / Public domain - Wikipedia
Et puisqu'il se dit qu'en France, tout se termine par une chanson, je vous offre Kalinka. C'est sans doute la plus célèbre du répertoire russe. Elle est chantée par Ivan Reboff qui, malgré son allure, sa voix et son registre, était... allemand !

À découvrir également...

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Pourquoi les enfants gribouillent (jusque sur les murs) ?
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Pourquoi le jeune marié porte sa moitié à l'heure de passer le seuil de leur domicile (ou de leur suite nuptiale) pour la première fois ?
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Pourquoi associe-t-on le jaune aux cocus (et les cornes par la même occasion) ?
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Pourquoi Bernard Hinault est surnommé le Blaireau (et Laura Flessel la Guêpe) ?
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Pourquoi la Terre est ronde (mais pas tout à fait) ?
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Pourquoi les Ferrari sont rouges (une fois sur deux) ?
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Pourquoi les taxis londoniens sont noirs (et les New-yorkais jaunes) ?
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Pourquoi les femmes s’expriment bruyamment pendant l’amour (même quand il est tard) ?
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Il a assurément sa place au banquet de l’horreur, aux côtés des Pol Pot, Kim Il Sung, Hitler, Idi Amin Dada et autres tyrans sanguinaires. Ivan IV dit « le Terrible » a régné sur la Russie avec une férocité que seul Staline, l’un de ses successeurs, peut lui disputer.
Le XVIe siècle est sans aucun doute l’une des périodes les plus contrastées de l’Histoire. Il se confond avec la Renaissance et ses artistes de génie : Vinci, Botticelli, Michel-Ange, Brunelleschi et tant d’autres. Mais, dans le même temps, il faut bien l’avouer, il est également souillé de pas mal de ces monstruosités dont l’Humanité a le secret. Il a ainsi vu la destruction des civilisations aztèques et incas par quelques centaines de conquistadors assoiffés d’or, l’essor du commerce triangulaire qui, durant des siècles, réduira en esclavage des millions d’Africains sur le sol américain, la généralisation de la torture dans les geôles de l’Inquisition espagnole ou bien encore les guerres de religion entre catholiques et protestants, une lutte qui atteignit son paroxysme avec le massacre de la Saint-Barthélemy.

Bref, l’époque est aussi saignante qu’un rumsteck fraîchement tranché par le boucher. D’autant qu’elle a également vu le règne de l’un des pires tyrans de l’Histoire : Ivan IV Vassiliévitch, alias Ivan le Terrible. Qu’a-t-il fait pour mériter ce qualificatif sinistre ? En un sens, rien. C’est une traduction maladroite qui en est à l’origine. À la base, en effet, ses sujets l’appelaient Ivan Groznyy, Ivan le Redoutable, en écho aux conquêtes du bonhomme qui, triomphant principalement des Tatars, transforma la Moscovie, la principauté dont il avait hérité, en l’une des nations les plus puissantes d’Europe : le Tsarat de Russie. Mais les Occidentaux, interpellés bien davantage par la cruauté de ce souverain que par ses lointaines conquêtes, ont confondu « redoutable » avec « redouté », associant dès lors le mot groznyy à « terrible ». Et comme, finalement, le terme lui va comme un gant, il lui est resté.

LE PÈRE DE LA RUSSIE

Avant d’aller plus loin, rendons au tsar ce qui est au tsar… Ivan IV est indéniablement l’un des « faiseurs » de la Russie que nous connaissons aujourd’hui. Par ses réformes et ses batailles, il a jeté les bases de l’une des plus grandes puissances mondiales. On lui doit ainsi le premier parlement russe, la première imprimerie du pays ou encore son premier code pénal. Particulièrement pieux (une dévotion dont témoigne la magnifique cathédrale Basile-le-Bienheureux qu’il fit ériger en 1555 pour commémorer sa victoire sur les Tatars de Kazan), il sut également structurer et recadrer l’Église orthodoxe, lui imposant un comportement exemplaire et, du même coup, lui évitant une « contre-Réforme » et les guerres de religion qui firent tant de mal à l’Europe catholique.

Visionnaire, le tsar raccrocha également son empire à l’Europe de l’Ouest, nouant des liens étroits avec ses principales puissances. À commencer par le royaume d’Angleterre avec lequel il entretint tout au long de son règne des relations commerciales fructueuses. Son admiration pour ce pays fut telle qu’on lui prête aujourd’hui encore un projet de mariage avec Élisabeth Ière, the Virgin Queen. Mais, s’il était résolument tourné vers l’Ouest, Ivan n’en oubliait pas pour autant l’Est de son empire,. C’est ainsi qu’il favorisa la main-mise des frères Strogonov, les premiers des milliardaires russes, la fortune de ces commerçants ridiculisant le compte en banque de l’oligarque le plus comblé, sur l’immense Sibérie.

Aujourd’hui encore, toutes ces actions lui valent l’admiration de nombreux de ses compatriotes, gavés qu’ils sont de propagande nationaliste. C’est ainsi qu’en 2016, un certain Vadim Potomski, gouverneur de la région d’Orel, une ville russe de près de 400.000 habitants, a inauguré dans cette même ville un superbe bronze à l’effigie du monarque. Un hommage qui, une nouvelle fois, nous prouve que, décidément, les hommes ont la mémoire courte ! Car, s’il a incontestablement œuvré à la grandeur de son pays, Ivan IV le fit également vivre sous cette terreur que sous-entend son doux surnom.

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L'imposante statue d'Ivan le Terrible, installée depuis 2016 devant l'église de l'Épiphanie, le plus vieil édifice religieux de la ville d'Orel.

DE LA HAINE À L'AMOUR...

N’en déplaise à ses actuels admirateurs, Ivan fut vraiment terrible, pour ne pas dire horrible. « Responsable, mais pas coupable », plaideront ses plus fervents défenseurs. C’est vrai : la vie ne s’est pas toujours montrée très tendre avec le tsar. Orphelin de père à trois ans, il perd sa mère cinq ans plus tard, les boyards, les grands aristocrates moscovites, ayant sans doute empoisonné cette autocrate assumée. Ivan devient dès lors la marionnette des Chouiski, la famille la plus puissante de la principauté moscovite. Très vite, ce clan sans scrupules isole un peu plus l’orphelin en le privant brutalement d’Agraféna, sa nourrice adorée, exilée brutalement dans un couvent, au fin fond du pays. Bientôt commencent les sévices : le petit Ivan est battu, négligé au point d’en être affamé, forcé d’assister aux tortures et exécutions des rivaux de ses tuteurs. Il vous en viendrait une haine farouche de vos semblables pour moins que ça !

Et c’est bien ce qui se passe ! Sa colère, le jeune Ivan la retourne tout d’abord contre les animaux. À l’âge où nos chères têtes blondes passent leur temps devant leurs jeux vidéos, lui, déplume, découpe, énuclée des oiseaux vivants, et balance des chiens par ses fenêtres pour le seul plaisir d’entendre leurs cris de douleur et le gémissement qui accompagne leur agonie. On en trouverait presque la Playstation et Call of Duty éducatifs !

Arrive l’adolescence et de nouvelles réjouissances. Avec des chiens encore… Ceux, féroces, qu’il lâche contre le Prince Andreï Chouiski, laissant les bêtes dévorer littéralement leur proie. Ce jour-là, la peur change de camp pour toujours et le jeune prince s’en régale jusqu’à plus soif. Il exécute ses opposants ou ceux qu’il suspecte de l’être, renversent sans vergogne ceux qui ont le malheur de croiser son chemin lors de ses folles cavalcades dans les rues de Moscou, viole d’innocentes paysannes au hasard de parties de chasse sanglantes. Sa violence semble sans limites. Elle va pourtant en trouver une ; c’est l’amour qui va l’arrêter.

Anastasia Romanova (dont la famille donnera un jour à la Russie la plus célèbre de ses dynasties) a dix-sept ans quand Ivan la choisit pour épouse parmi plus d’un millier de prétendantes. Elle est belle, très belle et, plus encore, elle est douce et attentionnée. Tant est si bien que le jeune chien enragé, goûtant à nouveau à une tendresse qu’il pensait perdue à jamais, en oublie de mordre. C’est pendant cette période qu’il réforme le pays, se fait respecter de ses sujets et craindre de ses ennemis, gagnant alors sa réputation de « redoutable ». Un âge d’or qui dure treize ans, jusqu’à la mort de la Tsarine, en 1560. Fou de douleur, son époux en est persuadé : celle qu'il aimait appeler « ma petite génisse » a péri empoisonné (ce qu’est venu confirmer, il y a quelques années, l’analyse de sa dépouille, révélant des traces de mercure et d’arsenic). Il crie vengeance.

...DE L'AMOUR À LA HAINE !

Son épouse vénérée à peine enterrée, Ivan reprend ses exécutions, sa furie n’épargnant personne. Des familles entières, dont certaines lui sont pourtant proches, sont mises à mort. Ainsi, parce que tsar doute de longue date de sa fidélité, le soupçonnant même d’être à l’origine de son deuil, son cousin Vladimir est invité à boire le poison qui, d’après le Tsar, aurait tué Anastasia. Tournée générale ! La femme et les enfants du condamné partagent son dernier verre. Une mort douce en regard du sort de ceux qui suivirent.

Pendant plus de vingt ans, au comble du sadisme, Ivan rivalise en effet d’imagination lorsqu’il s’agit d’exécuter ses victimes, les faisant périr à coup de fouet, découpés à la scie, empalés (tel le Prince Dimitri Telepnev qui meurt lentement, en assistant au viol de sa mère), dévorés par des ours ou bien, comme Bomelius, son médecin personnel, rôtis à la broche. Le supplice le plus raffiné : celui des deux chaudrons, l’un d’eau bouillante, l’autre d’eau glacée, dans lesquels le condamné est alternativement plongé jusqu’à ce que sa peau se détache de ses os ! Un must dont ce joyeux drille d’Ivan se divertit régulièrement. Après tout, à chacun ses plaisirs.

« POUR LES BONS, LA COMPASSION, LA DOUCEUR ET LA PAIX.
MAIS POUR LES MAUVAIS, LA CRUAUTÉ ET LA SOUFFRANCE ! »

Ivan le Terrible

Finies les réformes ! Le règne tourne à la tyrannie. En 1565, le Tsar confisque ainsi les terres des plus grandes familles de sa noblesse pour se constituer un immense domaine : l’Opritchnina. Il le met alors sous la coupe des opritchniks, plus d’un millier de cavaliers (jusqu’à six-mille à leur apogée), aussi cruels que leur souverain. Ces miliciens sans foi ni loi sévissent pendant sept ans, massacrant, violant, torturant à tour de bras. On leur prête ainsi plus de dix-mille assassinats. Sans compter la population de Novgorod, une cité russe florissante. Bien trop florissante ! Ivan jalouse sa réussite éblouissante, tant et si bien qu’il accuse ses habitants de comploter avec l’ennemi polonais. Il encercle la ville et lâche sur elle son escadron de la mort. Rares sont les survivants, les cadavres de dizaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants rougissant de leur sang les eaux de la Volkhov, la rivière voisine.

Néanmoins, comme chacun le sait, toutes les bonnes choses ont une fin. Les opritchniks vont l’apprendre à leurs dépens quand, en 1571, un an après la dévastation de Novgorod, le Tsar de toutes les Russies, déçu de la passivité de ses troupes lors de l’attaque de Moscou par les Tatars de Crimée, décide de dissoudre leur organisation criminelle, non sans en faire exécuter les chefs. Comme quoi, il y a une justice en ce bas monde.

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1 - Viktor Mikhailovich Vasnetsov / Public domain - Wikipedia
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3 - Ilya Repin / Public domain - Wikipedia
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