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Pourquoi a-t-on appelé le Nouveau Monde l’Amérique (et non la Colombie) ?

Lincoln, Roosevelt, Kennedy, Obama ou Trump (cherchez l'erreur !) auraient pu être présidents des Etats-Unis de Colombie si l’histoire avait voulu qu’on baptise le continent d’outre-Atlantique du nom de son découvreur : Christophe Colomb. Au lieu de ça, on l’a appelé l’Amérique, l’explorateur génois héritant, lui, d’un pays qu’il n’a jamais visité.

Et si, en plus de mourir moins con (et le plus tard possible), je mourrais célèbre ? Juste ce qu’il faut pour que ma notoriété perdure sinon pour l’éternité, au moins pour quelques années. Cela ne me vaudrait sans doute pas le Panthéon, pas plus qu’un défilé de Harley Davidson des Champs Élysées à la Madeleine. Mais qui sait, j’aurais peut-être ma page Wikipédia rien qu'à moi — comme Christophe Colomb (mais nous y reviendrons) — et cela suffirait amplement à mon bonheur.

Quelle joie, en effet, d’imaginer ce jour où un lointain descendant ou un simple homonyme, dans un moment de désœuvrement total, tapera son nom et donc le mien dans la fenêtre de recherche de l’encyclopédie virtuelle. Ce scénario est d’autant plus crédible que je m’y suis livré pas plus tard que ce matin, exhumant ainsi de l’oubli Paule, Guy, Louis, Benjamin et Jean Dumur. J’ai alors découvert, entre autres informations capitales, que la première glissa Printemps, l’un de ses romans, parmi les finalistes du prix Goncourt 1939, et que le dernier a donné son nom à un prix récompensant dans sa Suisse natale le courage journalistique. La barre est haute !

LES SENTIERS DE LA GLOIRE

Comment accéder à mon tour à cette postérité digitale ? Plusieurs possibilités s’offrent à moi. La plus évidente me semble être la création littéraire, même si, à l’heure où j’écris ces lignes, le chemin menant à la reconnaissance me paraît encore long et ardu. Cela dit, je ne désespère pas. D’autres que moi ont connu des débuts difficiles avant de rencontrer le succès. Telle Nabila. Après le flop relatif de Allô ! non mais allô, quoi ?, son premier opus, mon éminente consœur a réussi à écouler plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires de Trop vite, son autobiographie remarquable. Comme quoi, le talent, où qu’il se loge, dans la tête ou les tétons, finit toujours par payer !

Envisageons cependant l’hypothèse bien improbable où mon style, ma persévérance et, au comble du désespoir, deux implants mammaires, ne me vaudraient pas de décrocher mon Graal numérique… Quelles solutions s’offrent alors à moi pour échapper à l’anonymat et, sitôt que je mangerai les pissenlits par la racine, à ce lent processus d’effacement (et de décomposition) qu’est la mort ? Après mûre réflexion, j'en ai retenu trois. La première : la canonisation. Bof, bof... Je n’ai pas l’âme d’un martyre et encore moins le comportement d’un saint. Ça peut changer ? Rien n’interdit d’y croire, même s’il faudrait un miracle digne de Bernadette Soubirous pour me faire renoncer aux péchés de luxure, de gourmandise et d’orgueil !

Passons donc à la deuxième option : l’élection. Nul besoin de viser le pinacle, la présidence ou la députation. Deux ou trois mandats municipaux feront très bien l’affaire. Les avantages ? Dans le meilleur des cas, un compte en Suisse et un job fictif pour mon fils en tant qu’assistant parlementaire. Dans le pire, une plaque à mon nom à l’entrée d’une rue ou sur le fronton d’une école. Les inconvénients ? Des samedis entiers à marier de futurs divorcés et des jours fériés sacrifiés sur l’autel de la Nation, à déposer une gerbe au pied d’un monument aux morts auxquels, hélas, plus personne n’attache vraiment d’importance. Le choix est donc vite vu : au diable l’écharpe et les pépettes ; vive les grasses matinées et les jours de fête !

UN NOM QUI SE FAIT MOT

Il ne me reste par conséquent que la troisième et dernière solution : l’invention. Il me faut d’abord marquer mon époque par une grande découverte, même si elle ne sera jamais aussi grande que celle de Christophe Colomb (mais nous y reviendrons). Ensuite, pour asseoir définitivement ma notoriété, je dois espérer que mon nom y soit définitivement associé, selon le principe de « l’antonomase ». De quoi s’agit-il ? D’un nom propre qui se fait commun (et même sale dans le cas d’Eugène Poubelle, ce préfet de la IIIe République qui, en 1884, imposa aux Parisiens de placer leurs déchets ménagers dans de grands récipients munis d’un couvercle).

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Eugène Poubelle a glissé son nom dans nos villes, nos foyers et nos ordinateurs. Doit-on pour autant lui envier cette postérité ?

Le cas du sieur Poubelle n’est pas isolé. Nous n’y prenons pas garde, mais, avec André-Marie Ampère, John Loudon McAdam, Félix Kir, ou encore Samuel Morse, notre langage quotidien a comme qui dirait un petit arrière-goût de Who’s who. Ou plutôt, en bon français, de « bottin mondain », un terme qui doit tout à un certain Sébastien Bottin.

Au début du XIXe siècle, cet abbé qui quitta la robe pour épouser la Révolution avant de se faire éditeur, publia le premier répertoire professionnel de notre pays : l’Almanach du commerce de Paris et des principales villes du monde. Même s’il est mort ruiné, son affaire lui a valu de basculer dans le langage commun. Un privilège mis en péril cependant par l’avènement d’internet ! En effet, la Toile a déjà eu raison de plus d’un bottin, à commencer par le plus populaire d’entre tous : l’annuaire téléphonique. Une ultime édition en décembre 2019 (à neuf millions d’exemplaires contre un peu moins d’une soixantaine, douze ans plus tôt !) et puis s’en va. Un sale coup pour l’ami Sébastien. Certes, il n’en mourra pas une seconde fois, mais son nom, lui, pourrait bien disparaitre à l’avenir de nos dictionnaires. Du moins, s’il nous en reste !

C’est tout le problème avec l’antonomase : on n’est jamais à l’abri du syndrome Dick Rivers. On passe de mode et on traîne dès lors et pour l’éternité l’image d’un has-been. Remarquez, c’est toujours plus sympathique que l’étiquette sanguinaire accolée à jamais au juge et sénateur américain Charles Lynch, adepte de la justice expéditive, et à celle que l’on associe toujours à ce brave Docteur Joseph Guillotin qui, s’il n’a pas inventé la guillotine comme le veut une idée reçue, en a généralisé l’emploi lors de la Révolution. À cette liste de bienfaiteurs de l’humanité, nous pourrions ajouter les noms de Jean Nicot, l’introducteur du tabac (et donc de la nicotine) dans notre beau pays, et de Rudolf Diesel, cet ingénieur allemand qui, en 1897, en mettant au point le premier moteur à allumage par compression, a, sans le savoir, exaucé le vœu de plus d’un roturier en mal de particule !

UNE RECETTE CONTRE L'OUBLI

En fait, moi, ce que je voudrais, c’est que longtemps après ma mort, on m’associe encore à l’idée du beau ou du plaisir. Comme on le fait (sans trop le savoir) avec l’ami Félix Galipaux, par exemple. De 1887 à 1911, cet écrivain publia cinq recueils d’histoires drôles et légères, les titrant toutes autour d’un néologisme de son cru : Galipettes, Encore des Galipettes, Toujours des Galipettes, Rien que des Galipettes, Plus que jamais des Galipettes. Ce n’est plus une bibliographie ; c’est une évocation de l’Éden !

Plus sérieusement, je voudrais suivre les traces de Michel Bégon et de Pierre Magnol dont les bégonias et magnolias embaument nos jardins. Je voudrais rivaliser avec Eugène Rimmel, ce parfumeur français auquel je dois de m’être perdu dans plus d’un regard, ou bien encore avec Georges Frédéric Strass, le joaillier de Louis XV dont l’invention fait briller de mille feux les (très) petites tenues des filles du Lido. Ça y est, je sais ! Je veux un destin à la Roy Jacuzzi, cet Italien immigré aux États-Unis, qui, en 1968, inventa cette baignoire à remous sans laquelle aucun sauna gay ne saurait exister. Non, non, attendez, j’ai mieux : je vais imiter Adolphe Sax, ce Belge grâce auquel Stan Getz a pu nourrir nos nuits d’amour des solos chauds et sensuels de
Desafinado. Oui, voilà, cette fois je le tiens : je vais inventer le « dumurophone » ! À quoi cela pourrait ressembler ? À un gros pipeau, mais en bien pire !

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Attendez une seconde ! Il me vient soudain une idée... Puisque je suis un gourmand invétéré, pourquoi n’hanterais-je pas les livres de recettes ? Je ne serais pas le premier, c’est clair ! Nos grimoires culinaires sont déjà pleins de fantômes. On y croise celui de Madeleine Paulmier, cette modeste servante de Commercy qui créa pour Stanislas, duc de Lorraine, le gâteau qui, un siècle plus tard, enchanta la jeunesse de Proust. On y trouve aussi celui d’Antoine Parmentier, cet agronome qui, pour familiariser les Français avec la pomme de terre, créa son fameux hachis. Citons également Cesare Frangipani, un comte italien de la Renaissance dont la crème à l’amande fait toujours le bonheur de l’Épiphanie. Si Louis de Béchameil, maître d’hôtel de Louis XIV, n’a rien fait pour nos galette des rois, nos bouchées-à-la-reine, elles, lui doivent tout ! Quant aux troquets parisiens, paradis du jambon-beurre, ils seraient sans doute moins populaires si John Montagu, comte de Sandwich, n’avait pris l’habitude, lorsqu’il était lancé dans une partie de cartes, son pêché mignon, de se restaurer d’un bout de viande ou de fromage coincé entre deux tranches de pain.

L'ERREUR FATALE DE CHRISTOPHE COLOMB

Vous savez quoi ? Je suis prêt à saisir la première idée qui se présentera à moi si elle peut m’ouvrir les portes de l’immortalité. Un simple couteau comme celui de Joseph Opinel. Un truc aussi idiot que le ruban adhésif de Jonathan Edwards Chatterton et les sangles qu’Eugen Sandow, père du culturisme moderne, inventa pour parfaire le galbe de ses biceps. Il n’y a qu’une chose à laquelle j’espère échapper : la spoliation.

Une telle mésaventure est arrivée au plus célèbre des explorateurs : Christophe Colomb (cette fois, nous y sommes !). Il a fait la plus grande des découvertes et pourtant, nous n'avons baptisé de son nom qu’un modeste pays : la Colombie. Le naviguateur italien n’y a pourtant jamais mis les pieds, la colonisation de cette terre à cheval entre le Pacifique et les Caraïbes revenant à un conquistador nommé Alonso de Ojeda. Mais au début du XIXe siècle, un autre Espagnol, Francisco de Miranda, cherchant un nom pour le vaste territoire (formé des actuels Venezuela, Équateur et Colombie) qui venait de proclamer son indépendance, imagina celui de Grande Colombie, en hommage à l’explorateur génois.

Certes, grâce à Egan Bernal, le plus jeune vainqueur de l’histoire du Tour de France, Pablo Escobar, le Francine sud-américain, et Rodolfo y su Tipica, interprète de La colegiala qui, dans ma lointaine jeunesse et peut-être la vôtre, accompagnait si bien le train à vapeur de la pub Nescafé, la Colombie (qui n’a plus rien de “grande” depuis que le Venezuela et l’Équateur ont fait sécession) jouit chez nous d’une certaine renommée. Mais elle n’a pas, loin s’en faut, l’aura du continent qui l’abrite. Du coup, la question se pose : pourquoi n’est-ce pas lui que l’on a baptisé
« Colombie » ? Parce que le pauvre Cristobal a toujours pensé qu’il n’avait rien découvert d’autre qu’une nouvelle route vers l’Asie.

Le Ligure n’a jamais voulu en démordre : il était arrivé aux Indes
Occidentales, punto e basta ! Le premier à le contredire fut Amerigo Vespucci, un commerçant florentin, naviguant sur l’Atlantique sous pavillon espagnol. Pour lui, toutes les terres de l’Ouest formaient ce qu’il appela dans un écrit daté de 1503 le Mundus Novus. Le Monde
Nouveau ! Son idée s’imposa peu à peu en Europe, si bien que quatre ans plus tard, quand le cartographe Martin Waldseemüller et le géographe Mathias Ringmann publièrent leur propre planisphère, ils décidèrent de faire des contrées découvertes par les explorateurs espagnols, un continent à part entière. Pour louer la clairvoyance de Vespucci, le duo inventa un nom inspiré de son prénom : America. L’Amérique !

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Si Christophe Colomb (à droite, peint par Ridolfo del Ghirlandaio) a découvert l'Amérique, c'est Amerigo Vespucci qui lui a donné son nom.

Voilà pourquoi les USA, la plus grande puissance mondiale, doivent leur nom à celui d’un simple marchand florentin et non au plus illustre des découvreurs. Et je ne sais pas pour vous, mais moi, rien que de le savoir et de me dire que je vais mourir moins con (et le plus tard possible), quand bien même ne laisserais-je aucune trace de mon passage en ce monde, fût-il ancien ou nouveau, ça me ravit.

Illustrations :
1 - Amber Avalona - Pixabay
2 - Denys Puech - Wikipedia (pour le buste d'Eugène Poubelle) et Gullevek - Visualhunt
3 - Thelandoffey — Pixabay
Et puisqu'il se dit qu'en France, tout se termine par une chanson, je vous offre celle-là :
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À découvrir également...

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Pourquoi les enfants gribouillent (jusque sur les murs) ?
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Pourquoi le jeune marié porte sa moitié à l'heure de passer le seuil de leur domicile (ou de leur suite nuptiale) pour la première fois ?
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Pourquoi associe-t-on le jaune aux cocus (et les cornes par la même occasion) ?
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Pourquoi Bernard Hinault est surnommé le Blaireau (et Laura Flessel la Guêpe) ?
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Pourquoi vend-on les œufs (et les huîtres) à la douzaine ?
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Pourquoi la Terre est ronde (mais pas tout à fait) ?
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Pourquoi les Ferrari sont rouges (une fois sur deux) ?
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Pourquoi les taxis londoniens sont noirs (et les New-yorkais jaunes) ?
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Pourquoi les femmes s’expriment bruyamment pendant l’amour (même quand il est tard) ?
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Pourquoi les Anglais conduisent à gauche (et les Japonais aussi) ?
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Lincoln, Roosevelt, Kennedy, Obama ou Trump (cherchez l'erreur !) auraient pu être présidents des Etats-Unis de Colombie si l’histoire avait voulu qu’on baptise le continent d’outre-Atlantique du nom de son découvreur : Christophe Colomb. Au lieu de ça, on l’a appelé l’Amérique, l’explorateur génois héritant, lui, d’un pays qu’il n’a jamais visité.

Et si, en plus de mourir moins con (et le plus tard possible), je mourrais célèbre ? Juste ce qu’il faut pour que ma notoriété perdure sinon pour l’éternité, au moins pour quelques années. Cela ne me vaudrait sans doute pas le Panthéon, pas plus qu’un défilé de Harley Davidson des Champs Élysées à la Madeleine. Mais qui sait, j’aurais peut-être ma page Wikipédia rien qu'à moi — comme Christophe Colomb (mais nous y reviendrons) — et cela suffirait amplement à mon bonheur.

Quelle joie, en effet, d’imaginer ce jour où un lointain descendant ou un simple homonyme, dans un moment de désœuvrement total, tapera son nom et donc le mien dans la fenêtre de recherche de l’encyclopédie virtuelle. Ce scénario est d’autant plus crédible que je m’y suis livré pas plus tard que ce matin, exhumant ainsi de l’oubli Paule, Guy, Louis, Benjamin et Jean Dumur. J’ai alors découvert, entre autres informations capitales, que la première glissa Printemps, l’un de ses romans, parmi les finalistes du prix Goncourt 1939, et que le dernier a donné son nom à un prix récompensant dans sa Suisse natale le courage journalistique. La barre est haute !

LES SENTIERS DE LA GLOIRE

Comment accéder à mon tour à cette postérité digitale ? Plusieurs possibilités s’offrent à moi. La plus évidente me semble être la création littéraire, même si, à l’heure où j’écris ces lignes, le chemin menant à la reconnaissance me paraît encore long et ardu. Cela dit, je ne désespère pas. D’autres que moi ont connu des débuts difficiles avant de rencontrer le succès. Telle Nabila. Après le flop relatif de Allô ! non mais allô, quoi ?, son premier opus, mon éminente consœur a réussi à écouler plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires de Trop vite, son autobiographie remarquable. Comme quoi, le talent, où qu’il se loge, dans la tête ou les tétons, finit toujours par payer !

Envisageons cependant l’hypothèse bien improbable où mon style, ma persévérance et, au comble du désespoir, deux implants mammaires, ne me vaudraient pas de décrocher mon Graal numérique… Quelles solutions s’offrent alors à moi pour échapper à l’anonymat et, sitôt que je mangerai les pissenlits par la racine, à ce lent processus d’effacement (et de décomposition) qu’est la mort ? Après mûre réflexion, j'en ai retenu trois. La première : la canonisation. Bof, bof... Je n’ai pas l’âme d’un martyre et encore moins le comportement d’un saint. Ça peut changer ? Rien n’interdit d’y croire, même s’il faudrait un miracle digne de Bernadette Soubirous pour me faire renoncer aux péchés de luxure, de gourmandise et d’orgueil !

Passons donc à la deuxième option : l’élection. Nul besoin de viser le pinacle, la présidence ou la députation. Deux ou trois mandats municipaux feront très bien l’affaire. Les avantages ? Dans le meilleur des cas, un compte en Suisse et un job fictif pour mon fils en tant qu’assistant parlementaire. Dans le pire, une plaque à mon nom à l’entrée d’une rue ou sur le fronton d’une école. Les inconvénients ? Des samedis entiers à marier de futurs divorcés et des jours fériés sacrifiés sur l’autel de la Nation, à déposer une gerbe au pied d’un monument aux morts auxquels, hélas, plus personne n’attache vraiment d’importance. Le choix est donc vite vu : au diable l’écharpe et les pépettes ; vive les grasses matinées et les jours de fête !

UN NOM QUI SE FAIT MOT

Il ne me reste par conséquent que la troisième et dernière solution : l’invention. Il me faut d’abord marquer mon époque par une grande découverte, même si elle ne sera jamais aussi grande que celle de Christophe Colomb (mais nous y reviendrons). Ensuite, pour asseoir définitivement ma notoriété, je dois espérer que mon nom y soit définitivement associé, selon le principe de « l’antonomase ». De quoi s’agit-il ? D’un nom propre qui se fait commun (et même sale dans le cas d’Eugène Poubelle, ce préfet de la IIIe République qui, en 1884, imposa aux Parisiens de placer leurs déchets ménagers dans de grands récipients munis d’un couvercle).

Image

Eugène Poubelle a glissé son nom dans nos villes, nos foyers et nos ordinateurs. Doit-on pour autant lui envier cette postérité ?

Le cas du sieur Poubelle n’est pas isolé. Nous n’y prenons pas garde, mais, avec André-Marie Ampère, John Loudon McAdam, Félix Kir, ou encore Samuel Morse, notre langage quotidien a comme qui dirait un petit arrière-goût de Who’s who. Ou plutôt, en bon français, de « bottin mondain », un terme qui doit tout à un certain Sébastien Bottin.

Au début du XIXe siècle, cet abbé qui quitta la robe pour épouser la Révolution avant de se faire éditeur, publia le premier répertoire professionnel de notre pays : l’Almanach du commerce de Paris et des principales villes du monde. Même s’il est mort ruiné, son affaire lui a valu de basculer dans le langage commun. Un privilège mis en péril cependant par l’avènement d’internet ! En effet, la Toile a déjà eu raison de plus d’un bottin, à commencer par le plus populaire d’entre tous : l’annuaire téléphonique. Une ultime édition en décembre 2019 (à neuf millions d’exemplaires contre un peu moins d’une soixantaine, douze ans plus tôt !) et puis s’en va. Un sale coup pour l’ami Sébastien. Certes, il n’en mourra pas une seconde fois, mais son nom, lui, pourrait bien disparaitre à l’avenir de nos dictionnaires. Du moins, s’il nous en reste !

C’est tout le problème avec l’antonomase : on n’est jamais à l’abri du syndrome Dick Rivers. On passe de mode et on traîne dès lors et pour l’éternité l’image d’un has-been. Remarquez, c’est toujours plus sympathique que l’étiquette sanguinaire accolée à jamais au juge et sénateur américain Charles Lynch, adepte de la justice expéditive, et à celle que l’on associe toujours à ce brave Docteur Joseph Guillotin qui, s’il n’a pas inventé la guillotine comme le veut une idée reçue, en a généralisé l’emploi lors de la Révolution. À cette liste de bienfaiteurs de l’humanité, nous pourrions ajouter les noms de Jean Nicot, l’introducteur du tabac (et donc de la nicotine) dans notre beau pays, et de Rudolf Diesel, cet ingénieur allemand qui, en 1897, en mettant au point le premier moteur à allumage par compression, a, sans le savoir, exaucé le vœu de plus d’un roturier en mal de particule !

UNE RECETTE
CONTRE L'OUBLI

En fait, moi, ce que je voudrais, c’est que longtemps après ma mort, on m’associe encore à l’idée du beau ou du plaisir. Comme on le fait (sans trop le savoir) avec l’ami Félix Galipaux, par exemple. De 1887 à 1911, cet écrivain publia cinq recueils d’histoires drôles et légères, les titrant toutes autour d’un néologisme de son cru : Galipettes, Encore des Galipettes, Toujours des Galipettes, Rien que des Galipettes, Plus que jamais des Galipettes. Ce n’est plus une bibliographie ; c’est une évocation de l’Éden !

Plus sérieusement, je voudrais suivre les traces de Michel Bégon et de Pierre Magnol dont les bégonias et magnolias embaument nos jardins. Je voudrais rivaliser avec Eugène Rimmel, ce parfumeur français auquel je dois de m’être perdu dans plus d’un regard, ou bien encore avec Georges Frédéric Strass, le joaillier de Louis XV dont l’invention fait briller de mille feux les (très) petites tenues des filles du Lido. Ça y est, je sais ! Je veux un destin à la Roy Jacuzzi, cet Italien immigré aux États-Unis, qui, en 1968, inventa cette baignoire à remous sans laquelle aucun sauna gay ne saurait exister. Non, non, attendez, j’ai mieux : je vais imiter Adolphe Sax, ce Belge grâce auquel Stan Getz a pu nourrir nos nuits d’amour des solos chauds et sensuels de
Desafinado. Oui, voilà, cette fois je le tiens : je vais inventer le « dumurophone » ! À quoi cela pourrait ressembler ? À un gros pipeau, mais en bien pire !

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Attendez une seconde ! Il me vient soudain une idée... Puisque je suis un gourmand invétéré, pourquoi n’hanterais-je pas les livres de recettes ? Je ne serais pas le premier, c’est clair ! Nos grimoires culinaires sont déjà pleins de fantômes. On y croise celui de Madeleine Paulmier, cette modeste servante de Commercy qui créa pour Stanislas, duc de Lorraine, le gâteau qui, un siècle plus tard, enchanta la jeunesse de Proust. On y trouve aussi celui d’Antoine Parmentier, cet agronome qui, pour familiariser les Français avec la pomme de terre, créa son fameux hachis. Citons également Cesare Frangipani, un comte italien de la Renaissance dont la crème à l’amande fait toujours le bonheur de l’Épiphanie. Si Louis de Béchameil, maître d’hôtel de Louis XIV, n’a rien fait pour nos galette des rois, nos bouchées-à-la-reine, elles, lui doivent tout ! Quant aux troquets parisiens, paradis du jambon-beurre, ils seraient sans doute moins populaires si John Montagu, comte de Sandwich, n’avait pris l’habitude, lorsqu’il était lancé dans une partie de cartes, son pêché mignon, de se restaurer d’un bout de viande ou de fromage coincé entre deux tranches de pain.

L'ERREUR FATALE DE CHRISTOPHE COLOMB

Vous savez quoi ? Je suis prêt à saisir la première idée qui se présentera à moi si elle peut m’ouvrir les portes de l’immortalité. Un simple couteau comme celui de Joseph Opinel. Un truc aussi idiot que le ruban adhésif de Jonathan Edwards Chatterton et les sangles qu’Eugen Sandow, père du culturisme moderne, inventa pour parfaire le galbe de ses biceps. Il n’y a qu’une chose à laquelle j’espère échapper : la spoliation.

Une telle mésaventure est arrivée au plus célèbre des explorateurs : Christophe Colomb (cette fois, nous y sommes !). Il a fait la plus grande des découvertes et pourtant, nous n'avons baptisé de son nom qu’un modeste pays : la Colombie. Le naviguateur italien n’y a pourtant jamais mis les pieds, la colonisation de cette terre à cheval entre le Pacifique et les Caraïbes revenant à un conquistador nommé Alonso de Ojeda. Mais au début du XIXe siècle, un autre Espagnol, Francisco de Miranda, cherchant un nom pour le vaste territoire (formé des actuels Venezuela, Équateur et Colombie) qui venait de proclamer son indépendance, imagina celui de Grande Colombie, en hommage à l’explorateur génois.

Certes, grâce à Egan Bernal, le plus jeune vainqueur de l’histoire du Tour de France, Pablo Escobar, le Francine sud-américain, et Rodolfo y su Tipica, interprète de La colegiala qui, dans ma lointaine jeunesse et peut-être la vôtre, accompagnait si bien le train à vapeur de la pub Nescafé, la Colombie (qui n’a plus rien de “grande” depuis que le Venezuela et l’Équateur ont fait sécession) jouit chez nous d’une certaine renommée. Mais elle n’a pas, loin s’en faut, l’aura du continent qui l’abrite. Du coup, la question se pose : pourquoi n’est-ce pas lui que l’on a baptisé
« Colombie » ? Parce que le pauvre Cristobal a toujours pensé qu’il n’avait rien découvert d’autre qu’une nouvelle route vers l’Asie.

Le Ligure n’a jamais voulu en démordre : il était arrivé aux Indes
Occidentales, punto e basta ! Le premier à le contredire fut Amerigo Vespucci, un commerçant florentin, naviguant sur l’Atlantique sous pavillon espagnol. Pour lui, toutes les terres de l’Ouest formaient ce qu’il appela dans un écrit daté de 1503 le Mundus Novus. Le Monde
Nouveau ! Son idée s’imposa peu à peu en Europe, si bien que quatre ans plus tard, quand le cartographe Martin Waldseemüller et le géographe Mathias Ringmann publièrent leur propre planisphère, ils décidèrent de faire des contrées découvertes par les explorateurs espagnols, un continent à part entière. Pour louer la clairvoyance de Vespucci, le duo inventa un nom inspiré de son prénom : America. L’Amérique !

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Si Christophe Colomb (à droite, peint par Ridolfo del Ghirlandaio) a découvert l'Amérique, c'est Amerigo Vespucci qui lui a donné son nom.

Voilà pourquoi les USA, la plus grande puissance mondiale, doivent leur nom à celui d’un simple marchand florentin et non au plus illustre des
découvreurs. Et je ne sais pas pour vous, mais moi, rien que de le savoir et de me dire que je vais mourir moins con (et le plus tard possible), quand bien même ne laisserais-je aucune trace de mon passage en ce monde, fût-il ancien ou nouveau, ça me ravit.

Illustrations :
1 - Amber Avalona - Pixabay
2 - Denys Puech - Wikipedia (pour le buste d'Eugène Poubelle) et Gullevek - Visualhunt
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Et puisqu'il se dit qu'en France, tout se termine par une chanson, je vous offre celle-là :
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