la croix de Lorraine

Pourquoi la croix de Lorraine incarne-t-elle la Résistance (gaulliste) ?

De tous les présidents de la Ve République, un seul réconcilie très largement les gens de Droite et le peuple de Gauche. Emmanuel Macron ? Non, le Général de Gaulle qui, le 18 juin 1940, en répondant à la croix gammée nazie par sa croix de Lorraine, a sauvé l'honneur de la France et son rang parmi les grandes nations du monde.

Parfois, la célébrité tient à pas grand-chose. Prenez Colombey-les-Deux-églises… Avec ses huit cents habitants, cette commune champêtre de la Haute-Marne n’aurait jamais dû sortir de l’anonymat. Sauf que son destin bascule le 9 juin 1934 quand un certain Charles de Gaulle, alors lieutenant-colonel de l’Armée française, et Yvonne, son épouse, y font l’acquisition en viager d’une gentilhommière de quatorze pièces. On l’a longtemps appelée La Brasserie, puisque telle était sa vocation originelle. Elle est devenue un jour La Boisserie, un ancien propriétaire pensant sûrement que le bois le ferait davantage mousser que la bière.

Deux ans plus tard, Alice Bombal, la rentière, casse sa pipe en se noyant dans sa baignoire. Voilà les de Gaulle définitivement propriétaire du bien. Ils décident alors d’en faire leur résidence secondaire, d’autant que le chef de famille est nommé dans la foulée à la tête du 507e régiment de chars de combat cantonné à Metz, à seulement deux cents kilomètres de là. Une affectation qui scelle définitivement le sort du petit village que le Grand Charles, en lui restant fidèle jusqu’à sa mort, va faire entrer dans la postérité.

Aujourd’hui encore, l’ombre du Général assure à Colombey prestige et revenus. Plusieurs dizaines de milliers de gaullistes nostalgiques, amateurs d’histoire, simples curieux ou politiques opportunistes passent en effet dans le coin, chaque année, pour saluer la mémoire de l’Homme du 18 juin. Ils découvrent à cette occasion un drôle de totem : une croix monumentale, parée de bronze et de granit rose de Perros-Guirec, dominant la région toute entière du haut de sa colline et de ses 44 mètres sous la toise. Davantage qu’un hommage, l’édifice est un symbole : celui d’une France débout. Car cette croix, comme vous l’aurez sans doute deviné, est celle qu’en juillet 1940, à l’heure d’entrer en résistance, de Gaulle et ses partisans se sont choisie pour emblème : la Croix de Lorraine.

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UNE CROIX POUR LES CROYANTS

Si, comme la mirabelle, on la qualifie de Lorraine, les origines de cette croix à trois branches sont bien plus exotiques : elle nous vient en effet de Jérusalem. On la doit à Hélène, une Romaine qui, au IVe siècle, a donné naissance, — sans césarienne, — à Constantin, le premier des césars à épouser officiellement la foi chrétienne. S’étant mis en tête de retrouver les traces matérielles de la crucifixion de Jésus, la dame profite d’un pèlerinage en Palestine pour faire fouiller le Golgotha, cette colline où, près de trois siècles auparavant, ses compatriotes avaient exécuté le Fils de Dieu. Et là, miracle ! Bien plus solide qu’un meuble Ikea, la croix du supplicié refait surface quasiment intacte.

Et attention, c’est la vraie de vrai ! Pour preuve, elle n’est pas faite de deux branches en T, comme celles que l’on dressait habituellement pour les condamnés de droit commun, mais de trois. Au stipes, le poteau vertical, et au patibulum, le montant horizontal que le condamné portait sur ses épaules jusqu’à son lieu d’exécution, on a ajouté une seconde traverse, ou, plus exactement, un titulus, cette pancarte que l’on attachait normalement au cou du criminel pour dénoncer la nature de ses méfaits. Sur ce bout de bois, une formule de Ponce Pilate qui, parce qu’elle conjugue mépris et ironie, doit ridiculiser définitivement le soi-disant messie : Iesus Nazarenus Rex Iudæorum. « Jésus le Nazaréen, roi des Juifs ». Le moins que l’on puisse dire, c’est que le procurateur aux mains propres n’a pas vraiment réussi son coup !

En revanche, Hélène, elle, va brillamment mener le sien, au point d’en être un jour sanctifiée. Son idée ? Sitôt déterrée son improbable relique, elle en fait du petit bois pour attiser le feu sacré chez les sujets de son empereur de fils. Découpée en plusieurs morceaux, la croix christique que l’on nomme alors la « Vraie Croix » est en effet dispersée aux quatre coins de l’Empire pour y être idolâtrée et accélérer ainsi la christianisation du monde romain.

Des siècles plus tard, l’un de ses fragments, confié en son temps par Sainte Hélène au Patriarche de Byzance, est vendu pour renflouer les caisses de l’ancien Empire romain d’Orient, alors en pleine déconfiture. Pendant quelques années, il passe de main en main jusqu’à arriver en Anjou, à l'abbaye cistercienne de la Boissière. L’y découvrant pour la première fois, Louis Ier, duc d’Anjou, est si bouleversé qu’il fait ajouter illico la croix à double traverse à sa bannière. Un emblème qui, peu à peu, va s’imposer dans tous les esprits sous le nom de croix d’Anjou. Oui, mais voilà, en 1473, René II, arrière-petit-fils de Loulou Premier, troque le titre de duc d’Anjou contre celui de Lorraine. Qu’à cela ne tienne ! On renomme aussitôt sa croix qui devient, elle aussi, de Lorraine.

UN ÉTENDARD POUR UNE CROISADE

Tout ça, c’est bien joli, mais, j’en ai conscience, je m’attarde dans les champs infinis de la culture, j’y baguenaude, j’y folâtre tant et plus que je vous laisse toujours aussi con (ou presque !) qu’au début de cette lecture. Honte à moi ! Alors, entrons sans plus attendre dans le vif du sujet et répondons à cette question qui vous taraude depuis toujours (ou presque !) : pourquoi les Forces Françaises Libres (FFL) ont adopté la croix de Lorraine ?

Nous sommes début juillet 1940… La France de Pétain a capitulé. Mais à Londres où ils ont trouvé refuge, quelques irréductibles Gaulois ne veulent rien lâcher et se regroupent derrière un chef au patronyme prédestiné : de Gaulle. C’est le cas du Vice-Amiral Émile Muselier qui se voit confier les Forces Navales Françaises Libres, une marine qui n’existe encore que dans la tête de quelques hommes. Le marin marseillais se met néanmoins au travail et commence par rédiger les statuts de sa flotte. Il écrit : « Les bâtiments de guerre et de commerce porteront à la proue un pavillon carré bleu, orné en son centre de la croix de Lorraine en rouge, par opposition à la croix gammée. » 

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L’idée va faire école. Une vingtaine de jours plus tard, quand de Gaulle se cherche un signe de ralliement pour fédérer ses troupes et marquer son indépendance aux yeux de ses alliés britanniques, un autre marin, l’Amiral Georges Thierry d’Argenlieu, lui suggère de généraliser l’usage de la croix choisie par Muselier. Ainsi soit-il ! Le Général accueille la proposition avec d’autant plus d’enthousiasme que cette même croix ornait déjà l’insigne qu’il avait fait dessiné, deux ans plus tôt, pour son régiment messin.

Voilà pourquoi la croix sur laquelle fut supplicié le Christ a fini, dix-neuf siècles plus tard, sur les flancs des chars de la 2e Division Blindée qui, sous les ordres du Général Leclerc, libérèrent Paris et Strasbourg du joug nazi. Et je ne sais pas pour vous, mais moi, rien que de le savoir et de me dire que je vais mourir (le plus tard possible) fier d’être français, heureux de me sentir libre et un tantinet moins con, ça me ravit.

Crédits photo
Paysage Croix de Lorraine — Hans Braxmeier, via Pixabay (https://pixabay.com/fr/users/hans-2)
La Croix de Lorraine du Mémorail Charles de Gaulle —
Juergen Kappenberg (https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=644999)
Drapeau des Forces Françaises Libres — Jacques Chareyron (https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=70848620)
Et puisqu'il se dit qu'en France, tout se termine par une chanson, je vous offre celle-là :
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la croix de Lorraine
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Pourquoi la croix de Lorraine incarne-t-elle la Résistance (gaulliste) ?

De tous les présidents de la Ve République, un seul réconcilie très largement les gens de Droite et le peuple de Gauche. Emmanuel Macron ? Non, le Général de Gaulle qui, le 18 juin 1940, en répondant à la croix gammée nazie par sa croix de Lorraine, a sauvé l'honneur de la France et son rang parmi les grandes nations du monde.

Parfois, la célébrité tient à pas grand-chose. Prenez Colombey-les-Deux-églises… Avec ses huit cents habitants, cette commune champêtre de la Haute-Marne n’aurait jamais dû sortir de l’anonymat. Sauf que son destin bascule le 9 juin 1934 quand un certain Charles de Gaulle, alors lieutenant-colonel de l’Armée française, et Yvonne, son épouse, y font l’acquisition en viager d’une gentilhommière de quatorze pièces. On l’a longtemps appelée La Brasserie, puisque telle était sa vocation originelle. Elle est devenue un jour La Boisserie, un ancien propriétaire pensant sûrement que le bois le ferait davantage mousser que la bière.

Deux ans plus tard, Alice Bombal, la rentière, casse sa pipe en se noyant dans sa baignoire. Voilà les de Gaulle définitivement propriétaire du bien. Ils décident alors d’en faire leur résidence secondaire, d’autant que le chef de famille est nommé dans la foulée à la tête du 507e régiment de chars de combat cantonné à Metz, à seulement deux cents kilomètres de là. Une affectation qui scelle définitivement le sort du petit village que le Grand Charles, en lui restant fidèle jusqu’à sa mort, va faire entrer dans la postérité.

Aujourd’hui encore, l’ombre du Général assure à Colombey prestige et revenus. Plusieurs dizaines de milliers de gaullistes nostalgiques, amateurs d’histoire, simples curieux ou politiques opportunistes passent en effet dans le coin, chaque année, pour saluer la mémoire de l’Homme du 18 juin. Ils découvrent à cette occasion un drôle de totem : une croix monumentale, parée de bronze et de granit rose de Perros-Guirec, dominant la région toute entière du haut de sa colline et de ses 44 mètres sous la toise. Davantage qu’un hommage, l’édifice est un symbole : celui d’une France débout. Car cette croix, comme vous l’aurez sans doute deviné, est celle qu’en juillet 1940, à l’heure d’entrer en résistance, de Gaulle et ses partisans se sont choisie pour emblème : la Croix de Lorraine.

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UNE CROIX
POUR LES CROYANTS

Si, comme la mirabelle, on la qualifie de Lorraine, les origines de cette croix à trois branches sont bien plus exotiques : elle nous vient en effet de Jérusalem. On la doit à Hélène, une Romaine qui, au IVe siècle, a donné naissance, — sans césarienne, — à Constantin, le premier des césars à épouser officiellement la foi chrétienne. S’étant mis en tête de retrouver les traces matérielles de la crucifixion de Jésus, la dame profite d’un pèlerinage en Palestine pour faire fouiller le Golgotha, cette colline où, près de trois siècles auparavant, ses compatriotes avaient exécuté le Fils de Dieu. Et là, miracle ! Bien plus solide qu’un meuble Ikea, la croix du supplicié refait surface quasiment intacte.

Et attention, c’est la vraie de vrai ! Pour preuve, elle n’est pas faite de deux branches en T, comme celles que l’on dressait habituellement pour les condamnés de droit commun, mais de trois. Au stipes, le poteau vertical, et au patibulum, le montant horizontal que le condamné portait sur ses épaules jusqu’à son lieu d’exécution, on a ajouté une seconde traverse, ou, plus exactement, un titulus, cette pancarte que l’on attachait normalement au cou du criminel pour dénoncer la nature de ses méfaits. Sur ce bout de bois, une formule de Ponce Pilate qui, parce qu’elle conjugue mépris et ironie, doit ridiculiser définitivement le soi-disant messie : Iesus Nazarenus Rex Iudæorum. « Jésus le Nazaréen, roi des Juifs ». Le moins que l’on puisse dire, c’est que le procurateur aux mains propres n’a pas vraiment réussi son coup !

En revanche, Hélène, elle, va brillamment mener le sien, au point d’en être un jour sanctifiée. Son idée ? Sitôt déterrée son improbable relique, elle en fait du petit bois pour attiser le feu sacré chez les sujets de son empereur de fils. Découpée en plusieurs morceaux, la croix christique que l’on nomme alors la « Vraie Croix » est en effet dispersée aux quatre coins de l’Empire pour y être idolâtrée et accélérer ainsi la christianisation du monde romain.

Des siècles plus tard, l’un de ses fragments, confié en son temps par Sainte Hélène au Patriarche de Byzance, est vendu pour renflouer les caisses de l’ancien Empire romain d’Orient, alors en pleine déconfiture. Pendant quelques années, il passe de main en main jusqu’à arriver en Anjou, à l'abbaye cistercienne de la Boissière. L’y découvrant pour la première fois, Louis Ier, duc d’Anjou, est si bouleversé qu’il fait ajouter illico la croix à double traverse à sa bannière. Un emblème qui, peu à peu, va s’imposer dans tous les esprits sous le nom de croix d’Anjou. Oui, mais voilà, en 1473, René II, arrière-petit-fils de Loulou Premier, troque le titre de duc d’Anjou contre celui de Lorraine. Qu’à cela ne tienne ! On renomme aussitôt sa croix qui devient, elle aussi, de Lorraine.

UN ÉTENDARD
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Tout ça, c’est bien joli, mais, j’en ai conscience, je m’attarde dans les champs infinis de la culture, j’y baguenaude, j’y folâtre tant et plus que je vous laisse toujours aussi con (ou presque !) qu’au début de cette lecture. Honte à moi ! Alors, entrons sans plus attendre dans le vif du sujet et répondons à cette question qui vous taraude depuis toujours (ou presque !) : pourquoi les Forces Françaises Libres (FFL) ont adopté la croix de Lorraine ?

Nous sommes début juillet 1940… La France de Pétain a capitulé. Mais à Londres où ils ont trouvé refuge, quelques irréductibles Gaulois ne veulent rien lâcher et se regroupent derrière un chef au patronyme prédestiné : de Gaulle. C’est le cas du Vice-Amiral Émile Muselier qui se voit confier les Forces Navales Françaises Libres, une marine qui n’existe encore que dans la tête de quelques hommes. Le marin marseillais se met néanmoins au travail et commence par rédiger les statuts de sa flotte. Il écrit : « Les bâtiments de guerre et de commerce porteront à la proue un pavillon carré bleu, orné en son centre de la croix de Lorraine en rouge, par opposition à la croix gammée. » 

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L’idée va faire école. Une vingtaine de jours plus tard, quand de Gaulle se cherche un signe de ralliement pour fédérer ses troupes et marquer son indépendance aux yeux de ses alliés britanniques, un autre marin, l’Amiral Georges Thierry d’Argenlieu, lui suggère de généraliser l’usage de la croix choisie par Muselier. Ainsi soit-il ! Le Général accueille la proposition avec d’autant plus d’enthousiasme que cette même croix ornait déjà l’insigne qu’il avait fait dessiné, deux ans plus tôt, pour son régiment messin.

Voilà pourquoi la croix sur laquelle fut supplicié le Christ a fini, dix-neuf siècles plus tard, sur les flancs des chars de la 2e Division Blindée qui, sous les ordres du Général Leclerc, libérèrent Paris et Strasbourg du joug nazi. Et je ne sais pas pour vous, mais moi, rien que de le savoir et de me dire que je vais mourir (le plus tard possible) fier d’être français, heureux de me sentir libre et un tantinet moins con, ça me ravit.

Crédits photo
Paysage Croix de Lorraine — Hans Braxmeier, via Pixabay (https://pixabay.com/fr/users/hans-2)
La Croix de Lorraine du Mémorail Charles de Gaulle —
Juergen Kappenberg (https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=644999)
Drapeau des Forces Françaises Libres — Jacques Chareyron (https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=70848620)
Et puisqu'il se dit qu'en France, tout se termine par une chanson, je vous offre celle-là :
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