Pourquoi dit-on que l’habit ne fait pas le moine (contrairement à la tonsure) ?
Je ne le dirais jamais assez : il ne faut jamais se fier aux apparences. Croyez-en mon expérience : elles sont souvent trompeuses. D’ailleurs, on en a tous été victime un jour, ne serait-ce qu’en découvrant un push-up sous le cache-cœur de celle qui, la nuit durant, sur la piste de danse, vous a enivré de son décolleté rebondi. C’est à ne plus savoir à quel sein se vouer ! Et ce n’est jamais là qu’un exemple parmi tant d’autres des déceptions engendrées par une hypocrisie habile ou un artifice ingénieux. Ce genre de désillusion a même tendance à se généraliser dans une société où le conseiller en image et le retoucheur photo sont promis à un avenir plus radieux que l’artisan boulanger et le prof de philo.
La mode est en effet au faux-semblant, au tape-à-l’œil, à la mascarade. Un phénomène nourri grassement à ces deux mamelles prolifiques que sont le numérique et le populisme. Être ou paraître, telle est la question que people et politiques ont définitivement tranchée à coup de Photoshop et de promesses électorales. Pourquoi s’en priveraient-ils puisque, à en juger par leurs côtes de popularité sur Instagram pour les uns, dans les urnes pour les autres, la duperie, c’est comme le Loto : c’est facile, c’est pas cher et ça peut rapporter gros !
Si notre monde ressemble de plus en plus à un spectacle d’Houdini, le maître incontesté de l’illusion, n’allez pas croire qu’il a viré au trompe-l’œil sous l’effet conjugué de la télévision et d’internet. Il y a belle lurette que ce vernis qu’est l’apparence sauve les meubles de bien des médiocres. En témoigne, cette maxime de Plutarque, le philosophe romain, qui aimait à rappeler à ses contemporains que la barbe ne fait pas le philosophe. Philosophum non facit barba pour les inconditionnels de la VOST. Une logique qui a fait son chemin jusqu’à donner au Moyen-âge un proverbe bien connu et encore usité de nos jours, du moins par ceux qui ne lisent pas que des mangas : l’habit ne fait pas le moine.
LA BURE QUI FIT LES PRINCES
Il est très probable que cette maxime tire sa source des frasques d’un clergé régulier qui, au cœur du Moyen-âge, grisé sans doute par son opulence, maltraite ses vœux, leur préférant une règle bien plus joyeuse que celle de Saint Benoît : celle des trois B, Bouffer, Boire et Baiser. Au point que Grégoire IX, l’un des papes de l’époque, en est irrité et rappelle à l’ordre ces brebis égarées d’un sermon bien senti. « Ce n’est pas à l’habit qu’on reconnaît le moine, avertit-il, mais à l’observation de la Règle et à la perfection de sa vie. » Le coup de gueule est non seulement entendu dans les prieurés, mais il trouve également un écho favorable chez les laïcs. Ceux-ci s’emparent rapidement de la formule grégorienne pour dénoncer tous ceux qui, nobles, magistrats ou dignitaires de l’Église, portent la robe sans en avoir l’étoffe.
Malgré l’évidence de la paternité papale, il est des historiens pour défendre une tout autre version. Selon eux, l’origine de l’expression serait à chercher du côté d’une région tout aussi chère à mon cœur qu’à mon porte-monnaie puisque j’y suis né et que j’y vis : la Côte d’Azur. À l’époque qui nous intéresse, ce coin de la Méditerranée n’avait ni le nom, ni l’image paradisiaque qu’on lui accole aujourd’hui. Nous sommes en effet au tout début de l’année 1297. La République de Gênes vient de connaître une guerre civile qui a opposé deux clans rivaux : les Guelfes et les Gibelins. Les premiers sont vaincus et fuient vers la Provence voisine.
Le chemin du salut passe aux abords de Monaco, forteresse génoise bâtie sur un rocher défiant la Grande Bleue. Elle a la réputation d’être imprenable. Une considération dont n’a que faire François Grimaldi. Ce Guelfe rancunier et téméraire se met en tête de prendre sa revanche sur les Gibelins en leur ravissant leur citadelle et les terres alentours. Plutôt que de se lancer à l’assaut des solides remparts, il imagine alors un subterfuge particulièrement culotté.
C’est accompagné par l’un de ses lieutenants, vêtu tout comme lui d’une bure franciscaine, que, le 8 janvier exactement, il se présente aux gardes de Monaco pour leur demander l’asile pour la nuit. Ce que les bons bougres, se pliant alors à l’usage, acceptent sans hésiter. Pour le regretter sans aucun doute ! Car sitôt la garnison assoupie, le faux clerc ouvre les portes de la forteresse, y fait entrer sa petite armée et s’en empare sans trop de difficulté. Toujours évoquée par le blason monégasque avec ses deux moines portant l’épée, cette ruse victorieuse vaut à François une seigneurie (offerte à son cousin, Rainier Ier, qui la perd quatre ans plus tard, sa descendance n’en retrouvant la pleine jouissance qu’en 1331) et un surnom qu’il partage avec l’adorable Benji : la Malice !
BIEN DÉGAGÉ SUR LE DESSUS
Qui a eu cette idée saugrenue ? Pour la Visa, je ne sais pas, mais pour la tonsure, là, c’est signé Anicet, l’un des tout premiers papes de Rome, élu au IIe siècle. Il associa cette hérésie capillaire aux vœux que prononcent les moines à l’heure d’entrer dans les ordres. Pour le Saint Père, la chevelure était en effet l’un des principaux apparats des hommes ordinaires. La tondre marquait ainsi très concrètement un renoncement à la vie laïque et à ses futilités.
Voilà pourquoi la tonsure a sévi dans les monastères pendant près de deux millénaires, jusqu’à ce que Paul VI, en 1972, en rende la pratique facultative. Et je ne sais pas pour vous, mais moi, rien que de le savoir et de me dire que je vais mourir moins con (en apparence du moins et le plus tard possible), ça me ravit.
Le moine — Cocoparisienne, via Pixabay (https://pixabay.com/fr/users/cocoparisienne)
Statue de François Grimaldi - Parvis du Palais de Monaco — Hellolapomme, via Flickr (https://www.flickr.com/photos/hellolapomme)
Le vitrail (détail) - Falco, via Pixabay (https://pixabay.com/fr/users/falco)
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Pourquoi dit-on que l’habit ne fait pas le moine (contrairement à la tonsure) ?
Je ne le dirais jamais assez : il ne faut jamais se fier aux apparences. Croyez-en mon expérience : elles sont souvent trompeuses. D’ailleurs, on en a tous été victime un jour, ne serait-ce qu’en découvrant un push-up sous le cache-cœur de celle qui, la nuit durant, sur la piste de danse, vous a enivré de son décolleté rebondi. C’est à ne plus savoir à quel sein se vouer ! Et ce n’est jamais là qu’un exemple parmi tant d’autres des déceptions engendrées par une hypocrisie habile ou un artifice ingénieux. Ce genre de désillusion a même tendance à se généraliser dans une société où le conseiller en image et le retoucheur photo sont promis à un avenir plus radieux que l’artisan boulanger et le prof de philo.
La mode est en effet au faux-semblant, au tape-à-l’œil, à la mascarade. Un phénomène nourri grassement à ces deux mamelles prolifiques que sont le numérique et le populisme. Être ou paraître, telle est la question que people et politiques ont définitivement tranchée à coup de Photoshop et de promesses électorales. Pourquoi s’en priveraient-ils puisque, à en juger par leurs côtes de popularité sur Instagram pour les uns, dans les urnes pour les autres, la duperie, c’est comme le Loto : c’est facile, c’est pas cher et ça peut rapporter gros !
Si notre monde ressemble de plus en plus à un spectacle d’Houdini, le maître incontesté de l’illusion, n’allez pas croire qu’il a viré au trompe-l’œil sous l’effet conjugué de la télévision et d’internet. Il y a belle lurette que ce vernis qu’est l’apparence sauve les meubles de bien des médiocres. En témoigne, cette maxime de Plutarque, le philosophe romain, qui aimait à rappeler à ses contemporains que la barbe ne fait pas le philosophe. Philosophum non facit barba pour les inconditionnels de la VOST. Une logique qui a fait son chemin jusqu’à donner au Moyen-âge un proverbe bien connu et encore usité de nos jours, du moins par ceux qui ne lisent pas que des mangas : l’habit ne fait pas le moine.
LA BURE QUI FIT LES PRINCES
Il est très probable que cette maxime tire sa source des frasques d’un clergé régulier qui, au cœur du Moyen-âge, grisé sans doute par son opulence, maltraite ses vœux, leur préférant une règle bien plus joyeuse que celle de Saint Benoît : celle des trois B, Bouffer, Boire et Baiser. Au point que Grégoire IX, l’un des papes de l’époque, en est irrité et rappelle à l’ordre ces brebis égarées d’un sermon bien senti. « Ce n’est pas à l’habit qu’on reconnaît le moine, avertit-il, mais à l’observation de la Règle et à la perfection de sa vie. » Le coup de gueule est non seulement entendu dans les prieurés, mais il trouve également un écho favorable chez les laïcs. Ceux-ci s’emparent rapidement de la formule grégorienne pour dénoncer tous ceux qui, nobles, magistrats ou dignitaires de l’Église, portent la robe sans en avoir l’étoffe.
Malgré l’évidence de la paternité papale, il est des historiens pour défendre une tout autre version. Selon eux, l’origine de l’expression serait à chercher du côté d’une région tout aussi chère à mon cœur qu’à mon porte-monnaie puisque j’y suis né et que j’y vis : la Côte d’Azur. À l’époque qui nous intéresse, ce coin de la Méditerranée n’avait ni le nom, ni l’image paradisiaque qu’on lui accole aujourd’hui. Nous sommes en effet au tout début de l’année 1297. La République de Gênes vient de connaître une guerre civile qui a opposé deux clans rivaux : les Guelfes et les Gibelins. Les premiers sont vaincus et fuient vers la Provence voisine.
Le chemin du salut passe aux abords de Monaco, forteresse génoise bâtie sur un rocher défiant la Grande Bleue. Elle a la réputation d’être imprenable. Une considération dont n’a que faire François Grimaldi. Ce Guelfe rancunier et téméraire se met en tête de prendre sa revanche sur les Gibelins en leur ravissant leur citadelle et les terres alentours. Plutôt que de se lancer à l’assaut des solides remparts, il imagine alors un subterfuge particulièrement culotté.
C’est accompagné par l’un de ses lieutenants, vêtu tout comme lui d’une bure franciscaine, que, le 8 janvier exactement, il se présente aux gardes de Monaco pour leur demander l’asile pour la nuit. Ce que les bons bougres, se pliant alors à l’usage, acceptent sans hésiter. Pour le regretter sans aucun doute ! Car sitôt la garnison assoupie, le faux clerc ouvre les portes de la forteresse, y fait entrer sa petite armée et s’en empare sans trop de difficulté. Toujours évoquée par le blason monégasque avec ses deux moines portant l’épée, cette ruse victorieuse vaut à François une seigneurie (offerte à son cousin, Rainier Ier, qui la perd quatre ans plus tard, sa descendance n’en retrouvant la pleine jouissance qu’en 1331) et un surnom qu’il partage avec l’adorable Benji : la Malice !
BIEN DÉGAGÉ SUR LE DESSUS
Qui a eu cette idée saugrenue ? Pour la Visa, je ne sais pas, mais pour la tonsure, là, c’est signé Anicet, l’un des tout premiers papes de Rome, élu au IIe siècle. Il associa cette hérésie capillaire aux vœux que prononcent les moines à l’heure d’entrer dans les ordres. Pour le Saint Père, la chevelure était en effet l’un des principaux apparats des hommes ordinaires. La tondre marquait ainsi très concrètement un renoncement à la vie laïque et à ses futilités.
Voilà pourquoi la tonsure a sévi dans les monastères pendant près de deux millénaires, jusqu’à ce que Paul VI, en 1972, en rende la pratique facultative. Et je ne sais pas pour vous, mais moi, rien que de le savoir et de me dire que je vais mourir moins con (en apparence du moins et le plus tard possible), ça me ravit.
Le moine — Cocoparisienne, via Pixabay (https://pixabay.com/fr/users/cocoparisienne)
Statue de François Grimaldi - Parvis du Palais de Monaco — Hellolapomme, via Flickr (https://www.flickr.com/photos/hellolapomme)
Le vitrail (détail) - Falco, via Pixabay (https://pixabay.com/fr/users/falco)