
Pourquoi la margarita
(le cocktail, pas la pizza) s’appelle comme ça ?
Il en va de la margarita (le cocktail, pas la pizza) comme des chansons de Zaho de Sagazan : une m’est agréable, pour la suivante, ça passe, mais, dès la troisième, ça me saoule ! Il faut dire qu’outre le sel et le citron vert, elle contient une bonne dose de Cointreau et de tequila (la margarita bien sûr, pas Zaho). Le premier est une fameuse liqueur angevine à base d’écorces d’orange, inventée en 1885 par Édouard Cointreau. D’où son nom, forcément ! La seconde est une eau-de-vie que les Mexicains tirent de la distillation de l’agave bleu. Et mon tout est assez riche en alcool pour vous faire rire de pas grand-chose, sortir des sottises ou des déclarations d’amour (dans les deux cas, on les regrettera pareillement à son réveil), parler fort et gesticuler, transpirer, tituber et, passé le verre de trop, vomir lamentablement dans les toilettes ou le jardin. Santé !
Que l’on en abuse ou, comme le veut la formule consacrée, qu’on le consomme avec modération, ce breuvage reste unique en son genre. En effet, de tous les grands classiques de la mixologie, cet art du mélange alcoolisé, la margarita (le cocktail, pas la pizza), est à ma connaissance le seul qui ne soit pas issu des expériences d’un bartender en quête d’originalité ou d’un alcoolique éclusant les fonds de verre en fin de soirée. Non, elle a été inventée par une dame tout ce qu’il y a de plus respectable et c’est d’ailleurs à cette maternité que la boisson doit son nom.
DU PLONGEOIR AUX COMPTOIRS
Nous sommes en 1948. Le soleil brille sur la baie d’Acapulco, l’une des plus belles du Mexique. Comme nombre de ses compatriotes, Bill et Margaret Sames, couple modèle de la bonne société de Dallas, coulent des jours tranquilles au bord d’une piscine, dans leur villa envahie d’amis. Trop tranquilles ! L’oisiveté est mère de tous les vices, comme me l’a souvent rappelé ma grand-mère, et l’alcool en est un que la riche Texane se met en tête de cultiver. Pour fuir la torpeur tropicale et réveiller l’enthousiasme de ses camarades, elle décide en effet d’inventer le premier cocktail au monde à base de tequila, le tord-boyaux local. Elle a très vite l’idée de le marier à l’un de ses péchés mignons : le Cointreau.
« JE BOIS POUR RENDRE LES AUTRES INTÉRESSANTS. »
Hélas, ses premiers essais, trop aigres ou, à l’inverse, trop sucrés, sont infructueux. Des échecs aussitôt sanctionnés par les joyeux drilles qu’elle prend pour cobayes par un bain forcé dans la piscine. Ça rit, ça se pousse à l’eau, ça s’éclabousse, ça teste et ça picole mais, après quelques plongeons, la dame finit tout de même par trouver son bonheur. Elle shake cinq centilitres de tequila, trois de Cointreau et deux de jus de citron vert avant de servir le tout dans un verre givré à la fleur de sel. Le verdict ? Tout simplement parfait ! Une histoire qui prouve une nouvelle fois que, pour réussir, il faut savoir se mouiller.
DES STARS POUR AMBASSADEURS
Les jours passent, les invités de lady Sames aussi et tous de plébisciter the Margarita’s drink, la boisson de Margarita, selon le surnom latino qu'ils ont donné leur hôte. Parmi les premiers aficionados, quelques célébrités de l’époque, tels Nicky Hilton, fils de Conrad, le magnat de l’hôtellerie de luxe, Sheldon McHenry, propriétaire du Tail O’ the Cock, l’un des restaurants les plus populaires de Los Angeles, Joseph Drown, fondateur du Bel-Air, célèbre palace californien, ou bien encore John Wayne et Lana Turner. Tous ces influenceurs d’une époque où le meilleur des réseaux sociaux s’appelait encore le cinéma vont ramener la recette de ce délicieux cocktail de l’autre côté du Rio Grande et en faire ce succès qu’il est encore aujourd’hui.
C'est là un bien beau récit, non ? Toujours est-il qu’il ne fait pas l’unanimité. Il se trouve régulièrement quelques personnes pour le contester, prêtant alors la paternité du cocktail a un barman vrai de vrai. Des Mexicains essentiellement, tel Pancho Morales qui officiait dans les années quarante au Tommy’s Place, un bar de Ciudad Juarez, Danny Negrete qui aurait créé le breuvage à Puebla pour Margarita, son âme sœur, ou encore Danny Herrera qui l’aurait inventé à Tijuana, pour Marjorie King, une jeune actrice américaine des années trente qui ne supportait aucun alcool fort autre que la tequila. Qui dit vrai ? Personne, en vérité, si on en croit le Café Royal Cocktail Book, une publication sortie en 1937 par un certain Billy Tarling. L’ouvrage reprend les recettes en cours au Café Royal, l’un des hôtels les plus en vue de Londres. On y trouve celle du picador : 1/4 de citron vert, 1/4 de Cointreau, 1/2 de tequila et un bon coup de shaker. Voilà qui ressemble diablement à notre margarita. Sans le sel, ni la glace, me direz-vous. Exact. Mais ceux-ci apparaissent dans un autre livre, publié deux ans plus tard, à la gloire de Charlie Connolly, le barman du fameux Cotton Club new-yorkais. On y trouve la tequila sour, un picador revu et corrigé avec de la glace pilée et le verre salé. Troublant, non ?
LA PIZZA DELLA REGINA
Alors, qu’en est-il exactement de Margaret Sames ? A-t-elle inventé de bonne foi son cocktail ou a-t-elle ressuscité, pour ne pas dire plagier, une vieille recette goûtée ailleurs ? Qui sait ! Toujours est-il qu’il reste fort probable que la margarita s’appelle comme ça grâce à elle. Enfin, je veux parler du cocktail, pas de la pizza. Parce que, pour ce qui est de la spécialité napolitaine, il n’y a que sur les cartes des mauvais pizzaïolos qu’on la trouve orthographiée ainsi, à l’espagnole. Tous les autres le savent : il faut écrire « margherita ». À l’italienne ! Comme le prénom de cette reine, épouse d’Umberto Ier, pour laquelle Raffaele Esposito, pizzaïolo émérite, prépara trois pizzas différentes à l’occasion d’une visite que le couple royal fit à Naples, en juin 1889. Il y avait une pizza alla Mastunicola (saindoux, fromage, basilic), une pizza alla Marinara (tomate, ail, huile, origan) et une pizza pomodoro mozzarella (tomate, mozarella) sur laquelle, raconte-t-on, Maria Giovanna, la femme du cuistot, prise d’une inspiration aussi subite que pertinente, posa au dernier moment quelques feuilles de basilic.

Au lendemain de cette dégustation, Camillo Galli, responsable des repas royaux, écrivit une lettre de remerciement, mentionnant que la reine avait tout particulièrement apprécié la recette mariant le rouge (la tomate), le blanc (la mozzarella di bufala) et le vert (les feuilles de basilic), soit les trois couleurs du drapeau italien. Tout heureux de cet hommage, l’ami Esposito baptisa ce classique de la pizza napolitaine du nom de sa fan la plus illustre : la margherita. Depuis 1989, une plaque apposée en grande pompe sur la façade de la pizzeria d’Esposito (rebaptisée Pizzeria Brandi quand, en 1932, Giovanni et Pasquale Brandi, les neveux de Raffaele ont repris l’affaire) témoigne de cette histoire qui… ne serait qu’un sombre canular publicitaire. Le National Geographic, qui, avec ses 140 ans d’existence, passe pour un magazine sérieux, a jeté un sacré pavé dans la marre en 2022 en dénonçant une pure et simple supercherie signée par les frères Brandi pour donner du lustre à leur commerce. Même la lettre émanant du Palais serait un faux ! Comme vous pouvez vous en douter, cet article a déclenché une vaste polémique du côté des Napolitains qui, à ce jour, faisant fi des preuves apportées par la revue américaine, continuent de louer la géniale invention de Raffaele Esposito.
Et je ne sais pas vous, mais, moi, de savoir qui dit vrai dans tout ça, finalement, ça m’intéresse peu. Tant pis si, cette fois, je ne puis vous garantir que nous allons mourir moins con (et le plus tard possible) ou si on nous prend pour des cons avec de belles fables. Tout ce qui compte à mes yeux, c’est de me régaler encore longtemps d’une belle part de margherita cuite au feu de bois et arrosée d’une margarita mixée par un bartender talentueux. Ça, c’est vraiment une perspective qui ravit l’épicurien que je suis.
Margarita : chandlervid8, via Adobe Stock
Margherita : Haris, via Adobe Stock


Pourquoi pose-t-on un lapin (et noie-t-on le poisson) ?

Pourquoi les Chinois ont construit leur (très) Grande Muraille ?

Pourquoi embrassons-nous (avec la langue) notre bien aimé(e) ?

Pourquoi les taxis londoniens sont noirs (et les New-yorkais jaunes) ?

Pourquoi vend-on les œufs (et les huîtres) à la douzaine ?

Pourquoi les femmes s’expriment bruyamment pendant l’amour (même quand il est tard) ?

Pourquoi la margarita (le cocktail, pas la pizza) s’appelle comme ça ?
Il en va de la margarita (le cocktail, pas la pizza) comme des chansons de Zaho de Sagazan : une m’est agréable, pour la suivante, ça passe, mais, dès la troisième, ça me saoule ! Il faut dire qu’outre le sel et le citron vert, elle contient une bonne dose de Cointreau et de tequila (la margarita bien sûr, pas Zaho). Le premier est une fameuse liqueur angevine à base d’écorces d’orange, inventée en 1885 par Édouard Cointreau. D’où son nom, forcément ! La seconde est une eau-de-vie que les Mexicains tirent de la distillation de l’agave bleu. Et mon tout est assez riche en alcool pour vous faire rire de pas grand-chose, sortir des sottises ou des déclarations d’amour (dans les deux cas, on les regrettera pareillement à son réveil), parler fort et gesticuler, transpirer, tituber et, passé le verre de trop, vomir lamentablement dans les toilettes ou le jardin. Santé !
Que l’on en abuse ou, comme le veut la formule consacrée, qu’on le consomme avec modération, ce breuvage reste unique en son genre. En effet, de tous les grands classiques de la mixologie, cet art du mélange alcoolisé, la margarita (le cocktail, pas la pizza), est à ma connaissance le seul qui ne soit pas issu des expériences d’un bartender en quête d’originalité ou d’un alcoolique éclusant les fonds de verre en fin de soirée. Non, elle a été inventée par une dame tout ce qu’il y a de plus respectable et c’est d’ailleurs à cette maternité que la boisson doit son nom.
DU PLONGEOIR
AUX COMPTOIRS
Nous sommes en 1948. Le soleil brille sur la baie d’Acapulco, l’une des plus belles du Mexique. Comme nombre de ses compatriotes, Bill et Margaret Sames, couple modèle de la bonne société de Dallas, coulent des jours tranquilles au bord d’une piscine, dans leur villa envahie d’amis. Trop tranquilles ! L’oisiveté est mère de tous les vices, comme me l’a souvent rappelé ma grand-mère, et l’alcool en est un que la riche Texane se met en tête de cultiver. Pour fuir la torpeur tropicale et réveiller l’enthousiasme de ses camarades, elle décide en effet d’inventer le premier cocktail au monde à base de tequila, le tord-boyaux local. Elle a très vite l’idée de le marier à l’un de ses péchés mignons : le Cointreau.
« JE BOIS POUR RENDRE LES AUTRES INTÉRESSANTS. »
Hélas, ses premiers essais, trop aigres ou, à l’inverse, trop sucrés, sont infructueux. Des échecs aussitôt sanctionnés par les joyeux drilles qu’elle prend pour cobayes par un bain forcé dans la piscine. Ça rit, ça se pousse à l’eau, ça s’éclabousse, ça teste et ça picole mais, après quelques plongeons, la dame finit tout de même par trouver son bonheur. Elle shake cinq centilitres de tequila, trois de Cointreau et deux de jus de citron vert avant de servir le tout dans un verre givré à la fleur de sel. Le verdict ? Tout simplement parfait ! Une histoire qui prouve une nouvelle fois que, pour réussir, il faut savoir se mouiller.
DES STARS POUR AMBASSADEURS
Les jours passent, les invités de lady Sames aussi et tous de plébisciter the Margarita’s drink, la boisson de Margarita, selon le surnom latino qu'ils ont donné leur hôte. Parmi les premiers aficionados, quelques célébrités de l’époque, tels Nicky Hilton, fils de Conrad, le magnat de l’hôtellerie de luxe, Sheldon McHenry, propriétaire du Tail O’ the Cock, l’un des restaurants les plus populaires de Los Angeles, Joseph Drown, fondateur du Bel-Air, célèbre palace californien, ou bien encore John Wayne et Lana Turner. Tous ces influenceurs d’une époque où le meilleur des réseaux sociaux s’appelait encore le cinéma vont ramener la recette de ce délicieux cocktail de l’autre côté du Rio Grande et en faire ce succès qu’il est encore aujourd’hui.
C'est là un bien beau récit, non ? Toujours est-il qu’il ne fait pas l’unanimité. Il se trouve régulièrement quelques personnes pour le contester, prêtant alors la paternité du cocktail a un barman vrai de vrai. Des Mexicains essentiellement, tel Pancho Morales qui officiait dans les années quarante au Tommy’s Place, un bar de Ciudad Juarez, Danny Negrete qui aurait créé le breuvage à Puebla pour Margarita, son âme sœur, ou encore Danny Herrera qui l’aurait inventé à Tijuana, pour Marjorie King, une jeune actrice américaine des années trente qui ne supportait aucun alcool fort autre que la tequila. Qui dit vrai ? Personne, en vérité, si on en croit le Café Royal Cocktail Book, une publication sortie en 1937 par un certain Billy Tarling. L’ouvrage reprend les recettes en cours au Café Royal, l’un des hôtels les plus en vue de Londres. On y trouve celle du picador : 1/4 de citron vert, 1/4 de Cointreau, 1/2 de tequila et un bon coup de shaker. Voilà qui ressemble diablement à notre margarita. Sans le sel, ni la glace, me direz-vous. Exact. Mais ceux-ci apparaissent dans un autre livre, publié deux ans plus tard, à la gloire de Charlie Connolly, le barman du fameux Cotton Club new-yorkais. On y trouve la tequila sour, un picador revu et corrigé avec de la glace pilée et le verre salé. Troublant, non ?
LA PIZZA DELLA REGINA
Alors, qu’en est-il exactement de Margaret Sames ? A-t-elle inventé de bonne foi son cocktail ou a-t-elle ressuscité, pour ne pas dire plagier, une vieille recette goûtée ailleurs ? Qui sait ! Toujours est-il qu’il reste fort probable que la margarita s’appelle comme ça grâce à elle. Enfin, je veux parler du cocktail, pas de la pizza. Parce que, pour ce qui est de la spécialité napolitaine, il n’y a que sur les cartes des mauvais pizzaïolos qu’on la trouve orthographiée ainsi, à l’espagnole. Tous les autres le savent : il faut écrire « margherita ». À l’italienne ! Comme le prénom de cette reine, épouse d’Umberto Ier, pour laquelle Raffaele Esposito, pizzaïolo émérite, prépara trois pizzas différentes à l’occasion d’une visite que le couple royal fit à Naples, en juin 1889. Il y avait une pizza alla Mastunicola (saindoux, fromage, basilic), une pizza alla Marinara (tomate, ail, huile, origan) et une pizza pomodoro mozzarella (tomate, mozarella) sur laquelle, raconte-t-on, Maria Giovanna, la femme du cuistot, prise d’une inspiration aussi subite que pertinente, posa au dernier moment quelques feuilles de basilic.

Au lendemain de cette dégustation, Camillo Galli, responsable des repas royaux, écrivit une lettre de remerciement, mentionnant que la reine avait tout particulièrement apprécié la recette mariant le rouge (la tomate), le blanc (la mozzarella di bufala) et le vert (les feuilles de basilic), soit les trois couleurs du drapeau italien. Tout heureux de cet hommage, l’ami Esposito baptisa ce classique de la pizza napolitaine du nom de sa fan la plus illustre : la margherita. Depuis 1989, une plaque apposée en grande pompe sur la façade de la pizzeria d’Esposito (rebaptisée Pizzeria Brandi quand, en 1932, Giovanni et Pasquale Brandi, les neveux de Raffaele ont repris l’affaire) témoigne de cette histoire qui… ne serait qu’un sombre canular publicitaire. Le National Geographic, qui, avec ses 140 ans d’existence, passe pour un magazine sérieux, a jeté un sacré pavé dans la marre en 2022 en dénonçant une pure et simple supercherie signée par les frères Brandi pour donner du lustre à leur commerce. Même la lettre émanant du Palais serait un faux ! Comme vous pouvez vous en douter, cet article a déclenché une vaste polémique du côté des Napolitains qui, à ce jour, faisant fi des preuves apportées par la revue américaine, continuent de louer la géniale invention de Raffaele Esposito.
Et je ne sais pas vous, mais, moi, de savoir qui dit vrai dans tout ça, finalement, ça m’intéresse peu. Tant pis si, cette fois, je ne puis vous garantir que nous allons mourir moins con (et le plus tard possible) ou si on nous prend pour des cons avec de belles fables. Tout ce qui compte à mes yeux, c’est de me régaler encore longtemps d’une belle part de margherita cuite au feu de bois et arrosée d’une margarita mixée par un bartender talentueux. Ça, c’est vraiment une perspective qui ravit l’épicurien que je suis.
Margarita : chandlervid85, via Adobe Stock
Margherita : Haris, via Adobe Stock


Pourquoi pose-t-on un lapin (et noie-t-on le poisson) ?

Pourquoi les Chinois ont construit leur (très) Grande Muraille ?

Pourquoi embrassons-nous (avec la langue) notre bien aimé(e) ?

Pourquoi les taxis londoniens sont noirs (et les New-yorkais jaunes) ?

Pourquoi vend-on les œufs (et les huîtres) à la douzaine ?



