Pourquoi célèbre-t-on la naissance de Jésus (et de mon frère) chaque 25 décembre ?
Mon frère, Fabien, a vu le jour un 25 décembre. « Comme Jésus ! », s’enthousiasment à chaque fois ceux qui découvrent sa date de naissance. Pourtant, il n’y a vraiment pas de quoi se réjouir. Parce que naître à Noël, mon cadet vous le dirait, c’est tout sauf un cadeau ! À cause des cadeaux justement ! Vous pouvez toujours courir pour que vos aînés vous régalent ce jour-là, au prétexte que vous avez un an de plus, d’une double ration de bolduc argenté. Dans le meilleur des cas, on vous lâche un Action Joe en petite tenue le matin, au pied du sapin, et sa panoplie de fireman à l’heure du déjeuner.
Un grand moment de solitude ! D’autant que vous ne pouvez même pas compter sur vos amis pour effacer par quelques menus présents l’injustice parentale. Au lieu de célébrer le jour glorieux où vous êtes venu au monde, ces ingrats sont tous chez eux, bien au chaud, à se gaver de dinde aux marrons en attendant de pouvoir retrouver Ken et Barbie ou le circuit électrique Carrera qu’un Papa émérite, au terme d’une matinée éprouvante, vient tout juste de terminer de monter. Il n’y en a pas un pour vous applaudir à l’instant où vous soufflez les bougies que votre mère a maladroitement plantées dans la crème au beurre de votre bûche d’anniversaire, entre le champignon en meringue et la scie en plastique doré !
LE SOLEIL D'AURÉLIEN
Croyez-moi, ce genre de frustration vous détourne de la foi catholique plus sûrement que l’haleine acide d’un curé de campagne ou ces psaumes interminables que les témoins entonnent invariablement pendant une cérémonie de mariage. Il m’arrive même de penser que mon frangin a dû, plus d’une fois, maudire ce Christ qui lui coûte depuis toujours la douceur égocentrique d’un goûter d’anniversaire. Une colère compréhensible, mais, hélas, mal dirigée. Car le Nazaréen n’est pour rien dans l’affliction fraternelle. Non, le seul responsable, c’est Aurélien, cet empereur romain qui, en l’an 274, a sorti de son chapeau, pardon, de sa couronne de lauriers, un nouveau dieu : Sol invictus, le “Soleil invaincu”.
L’idée lui en est venue au lendemain de sa victoire sur Zénobie, cette félonne qui a voulu faire un empire de la province de Palmyre (dans l’actuelle Syrie). Pour éviter à l’avenir pareille tentative d’indépendance, il décide de rétablir l’unité du monde romain dont l’incroyable vastitude le menace d’implosion. Parmi les facteurs de dissension, la religion. En effet, à cette époque, l’empire abrite plus de cultes différents que l’écologie politique française ne compte de courants de pensée. C’est dire ! Le maître de Rome décide donc de mettre fin à ce capharnaüm en proposant à l’ensemble de ses sujets une nouvelle divinité, assez passe-partout pour supplanter les dieux et déesses qui foisonnent dans chaque province.
« CELUI QUI N'A PAS NOËL DANS LE CŒUR
NE LE TROUVERA JAMAIS AU PIED D'UN ARBRE. »
Il choisit alors le soleil, un symbole encore plus consensuel qu’un Michel Drucker au meilleur de sa forme. Il lui fait construire un temple au cœur de Rome et installe une fête à sa gloire, selon le principe largement vérifié depuis lors qu’avec la baisse des impôts et la stigmatisation des étrangers, il n’y a pas mieux que la création d’un jour férié pour gagner la sympathie du peuple. Reste à fixer la date de cette célébration. Et là, l’Aurélien, qui n’est pas empereur pour rien, a l’illumination : il proclame le 25 décembre « dies natalis solis invicti », jour de naissance du soleil invaincu.
Pourquoi ce jour précisément ? Primo, parce qu’en ce temps-là, il marque un événement clé du calendrier : le solstice d’hiver. Secundo, parce qu’il vient juste après les Saturnales, les plus fameuses réjouissances de la Rome antique. C’est un peu comme de lancer un nouveau créateur de mode : si vous voulez avoir une chance qu’il soit vu dans les magazines féminins, mieux vaut organiser son premier défilé au lendemain de la fashion week qu’en plein mois d’août !
UNE RÉCUPÉRATION POLITIQUE
Sol Invictus ne rencontre pas le plein succès escompté par son inventeur. Sans doute parce que le nouveau dieu est très vite orphelin de son père, assassiné en 275 par quelques-uns de ses officiers. Il n’en fait pas moins son petit bonhomme de chemin,. Tant est si bien que, cinquante ans plus tard, sous le règne de Constantin Ier, le premier empereur acquis à leur cause, les Chrétiens vont se mettre en tête de faire de l'ombre à ce soleil en lui opposant leur champion incontesté : Jésus.
En 336, alors que nul ne savait vraiment quand Marie l’avait mis au monde, ses serviteurs les plus zélés proclament fort opportunément que, désormais, son anniversaire serait célébré chaque 25 décembre. Et c’est ainsi que, peu à peu, le Soleil d’Aurélien cède du terrain sur la Lumière chrétienne, avant de se coucher tout à fait, laissant le ciel au seul Messie, quand, en 392, douze ans après avoir fait du christianisme la religion d’état, l’empereur Théodose fait interdire toute forme de paganisme sur le territoire de Rome.
Voilà pourquoi nous célébrons Noël (et l’anniversaire de Fabien) chaque 25 décembre. Et je ne sais pas vous mais moi, de le savoir et de me dire que je vais mourir moins con (et le plus tard possible) et finir alors entre quatre planches de sapin, ça ne me fout pas les boules, pas du tout, mais, tout au contraire, ça me ravit.
1 - Gareth Harper - Unsplash
2 - Philip Walenga - Pixabay
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Mon frère, Fabien, a vu le jour un 25 décembre. « Comme Jésus ! », s’enthousiasment à chaque fois ceux qui découvrent sa date de naissance. Pourtant, il n’y a vraiment pas de quoi se réjouir. Parce que naître à Noël, mon cadet vous le dirait, c’est tout sauf un cadeau ! À cause des cadeaux justement ! Vous pouvez toujours courir pour que vos aînés vous régalent ce jour-là, au prétexte que vous avez un an de plus, d’une double ration de bolduc argenté. Dans le meilleur des cas, on vous lâche un Action Joe en petite tenue le matin, au pied du sapin, et sa panoplie de fireman à l’heure du déjeuner.
Un grand moment de solitude ! D’autant que vous ne pouvez même pas compter sur vos amis pour effacer par quelques menus présents l’injustice parentale. Au lieu de célébrer le jour glorieux où vous êtes venu au monde, ces ingrats sont tous chez eux, bien au chaud, à se gaver de dinde aux marrons en attendant de pouvoir retrouver Ken et Barbie ou le circuit électrique Carrera qu’un Papa émérite, au terme d’une matinée éprouvante, vient tout juste de terminer de monter. Il n’y en a pas un pour vous applaudir à l’instant où vous soufflez les bougies que votre mère a maladroitement plantées dans la crème au beurre de votre bûche d’anniversaire, entre le champignon en meringue et la scie en plastique doré !
LE SOLEIL D'AURÉLIEN
Croyez-moi, ce genre de frustration vous détourne de la foi catholique plus sûrement que l’haleine acide d’un curé de campagne ou ces psaumes interminables que les témoins entonnent invariablement pendant une cérémonie de mariage. Il m’arrive même de penser que mon frangin a dû, plus d’une fois, maudire ce Christ qui lui coûte depuis toujours la douceur égocentrique d’un goûter d’anniversaire. Une colère compréhensible, mais, hélas, mal dirigée. Car le Nazaréen n’est pour rien dans l’affliction fraternelle. Non, le seul responsable, c’est Aurélien, cet empereur romain qui, en l’an 274, a sorti de son chapeau, pardon, de sa couronne de lauriers, un nouveau dieu : Sol invictus, le “Soleil invaincu”.
L’idée lui en est venue au lendemain de sa victoire sur Zénobie, cette félonne qui a voulu faire un empire de la province de Palmyre (dans l’actuelle Syrie). Pour éviter à l’avenir pareille tentative d’indépendance, il décide de rétablir l’unité du monde romain dont l’incroyable vastitude le menace d’implosion. Parmi les facteurs de dissension, la religion. En effet, à cette époque, l’empire abrite plus de cultes différents que l’écologie politique française ne compte de courants de pensée. C’est dire ! Le maître de Rome décide donc de mettre fin à ce capharnaüm en proposant à l’ensemble de ses sujets une nouvelle divinité, assez passe-partout pour supplanter les dieux et déesses qui foisonnent dans chaque province.
« CELUI QUI N'A PAS NOËL DANS LE CŒUR NE LE TROUVERA JAMAIS AU PIED D'UN ARBRE. »
Il choisit alors le soleil, un symbole encore plus consensuel qu’un Michel Drucker au meilleur de sa forme. Il lui fait construire un temple au cœur de Rome et installe une fête à sa gloire, selon le principe largement vérifié depuis lors qu’avec la baisse des impôts et la stigmatisation des étrangers, il n’y a pas mieux que la création d’un jour férié pour gagner la sympathie du peuple. Reste à fixer la date de cette célébration. Et là, l’Aurélien, qui n’est pas empereur pour rien, a l’illumination : il proclame le 25 décembre « dies natalis solis invicti », jour de naissance du soleil invaincu.
Pourquoi ce jour précisément ? Primo, parce qu’en ce temps-là, il marque un événement clé du calendrier : le solstice d’hiver. Secundo, parce qu’il vient juste après les Saturnales, les plus fameuses réjouissances de la Rome antique. C’est un peu comme de lancer un nouveau créateur de mode : si vous voulez avoir une chance qu’il soit vu dans les magazines féminins, mieux vaut organiser son premier défilé au lendemain de la fashion week qu’en plein mois d’août !
UNE RÉCUPÉRATION POLITIQUE
Sol Invictus ne rencontre pas le plein succès escompté par son inventeur. Sans doute parce que le nouveau dieu est très vite orphelin de son père, assassiné en 275 par quelques-uns de ses officiers. Il n’en fait pas moins son petit bonhomme de chemin,. Tant est si bien que, cinquante ans plus tard, sous le règne de Constantin Ier, le premier empereur acquis à leur cause, les Chrétiens vont se mettre en tête de faire de l'ombre à ce soleil en lui opposant leur champion incontesté : Jésus.
En 336, alors que nul ne savait vraiment quand Marie l’avait mis au monde, ses serviteurs les plus zélés proclament fort opportunément que, désormais, son anniversaire serait célébré chaque 25 décembre. Et c’est ainsi que, peu à peu, le Soleil d’Aurélien cède du terrain sur la Lumière chrétienne, avant de se coucher tout à fait, laissant le ciel au seul Messie, quand, en 392, douze ans après avoir fait du christianisme la religion d’état, l’empereur Théodose fait interdire toute forme de paganisme sur le territoire de Rome.
Voilà pourquoi nous célébrons Noël (et l’anniversaire de Fabien) chaque 25 décembre. Et je ne sais pas vous mais moi, de le savoir et de me dire que je vais mourir moins con (et le plus tard possible) et finir alors entre quatre planches de sapin, ça ne me fout pas les boules, pas du tout, mais, tout au contraire, ça me ravit.
1 - Gareth Harper - Unsplash
2 - Philip Walenga - Pixabay