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Pourquoi Annie (et pas qu’elle) aime-t-elle les sucettes ?

Depuis la nuit des temps, hommes et femmes agrémentent leurs accouplements de quelques douceurs sexuelles qui, tournant le dos à la procréation, se veulent de simples récréations. La fellation était déjà l’une des plus fameuses. Elle est désormais la plus populaire de toutes.
Mai 1966… L’Hexagone écoute sa jolie France (Gall) lui chantait, avec la voix tendre et candide d’une adolescente bien comme il faut, l’extase d’Annie quand son sucre d’orge coule dans sa gorge. Baptisée Les sucettes, la chanson est de Serge Gainsbourg, compositeur attitré de la jeune Parisienne depuis qu’il lui a fait gagner l’Eurovision, un an plus tôt, avec Poupée de cire, poupée de son.

Les paroles lui ont été inspirées par un souvenir d’enfance de la chanteuse qui, en vacances à Noirmoutier, s’offrait quotidiennement l’une des sucettes à l’anis que vendait l’épicier du quartier. Sauf que le Poinçonneur des Lilas, pas encore vieux mais déjà canaille, s’est servi de cette anecdote tout aussi innocente que l’interprète de Charlemagne, pour écrire, avec un art consommé de l’équivoque, une ode véritable à la fellation.

AU FEU LES POMPIERS !

Annie aime les sucettes et elle n’est plus la seule. Depuis la facétie perverse de l’Homme à tête de chou et sans que France Gall n’y soit pour grand-chose, la pratique s’est en effet largement démocratisée. À l’aube des Trente Glorieuses, celles qui avouaient s’être essayées au moins une fois dans leur vie à la buccogénitalité étaient en minorité. Il faut dire que l’acte était tabou, associé aux « femmes de mauvaise vie » comme on disait alors des prostituées. Pire, il était classé par le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, la bible des psychiatres américains, parmi les comportements pathologiques. Soixante-dix ans plus tard, le pompier n’est plus un sujet aussi brûlant et près de neuf Françaises sur dix de la tranche d’âge 34-39 ans, la plus sexuellement active, s’y adonnent avec plus ou moins d’entrain et d’assiduité.

« SI TU ENSEIGNES AUSSI BIEN L'ORTHOGRAPHE QUE TU TAILLES LES PLUMES, TU DOIS ÊTRE UNE INSTITUTRICE ÉPATANTE. »

Guillaume Apollinaire - Les Onze Mille verges
Deux phénomènes expliquent en grande partie la banalisation de la turlutte. Pour commencer, la libération sexuelle entamé dans les années soixante-dix avec ce mot d’ordre fameux : « jouissez sans entrave ». Or, quoi de mieux qu’une petite pipe pour donner du piment à ses ébats. Elle est coquine, voire franchement osée quand on laisse libre cours à ses fantasmes, vu qu’on peut la consommer n’importe où, n’importe quand, dans la voiture, dans la salle obscure d’un cinéma, dans une cabine d’essayage ou dans la cage d’escalier.

Dans le même temps, cette audace est tranquille. Elle est bien plus douce qu’une sodomie, plus intime qu’une partie fine et moins risquée qu’un missionnaire. Du moins, pour ce qui est de se retrouver avec un polichinelle dans le tiroir. Car, ne l’oublions jamais, en ce qui concerne les infections sexuellement transmissibles, sida, syphilis, herpès, hépatite B et autre papillomavirus, même s’il est nettement moins périlleux qu’un coït sans préservatif, le sexe oral n’est jamais sans danger.

Il peut même se révéler mortel ! En témoigne la fin tragique de Félix Faure, l’un des lointains prédécesseurs d’Emmanuel Macron à la tête de l’État.  Le 16 février 1899, Marguerite Steinheil, sa maîtresse, lui rend une petite visite au palais de l’Élysée. Sitôt qu’ils sont seuls, la dame entreprend de lui donner du plaisir avec sa bouche. Elle y met tant d’ardeur et de talent que le bonhomme, sous le coup d’une immense émotion, en fait une crise cardiaque, passant de la petite mort à la grande. Ce qui inspire alors à Georges Clémenceau, l’un de ses principaux opposants, cette épitaphe cinglante : « Il voulait être César, il ne fut que Pompée ». Quant à la maîtresse virtuose, elle s’est vue rapidement affublée d’un surnom difficile à porter : la Pompe funèbre.

LA MEILLEURE DES PUBLICITÉS

Si la révolution sexuelle post soixante-huitarde à délier bien des langues, Canal Plus et JVC, l’inventeur des cassettes VHS (Video Home System) et, bien plus tard, internet ont définitivement libéré l’expression orale en faisant entrer la pornographie dans tous les foyers. Tous, vraiment ?  Presque tous... Aujourd’hui, plus de 90% des Français et les deux tiers des Françaises avouent avoir visionné un film cochon au moins une fois dans leur vie.

Fantasmé essentiellement par et pour les hommes, ce flux licencieux a beaucoup fait pour la popularité de la fellation. Il faut dire qu’en l’absence d’une éducation sexuelle digne de ce nom, les productions de Dorcel et consort restent, pour une majorité de mâles, le moyen le plus facile de déflorer ce grand mystère qu’est la sexualité et d’enrichir son savoir en la matière. C’est ainsi qu’elles influencent grandement notre libido, au point qu’un Français sur deux a confié aux sondeurs de l’IFOP qu’il avait déjà mis en pratique, au lit ou ailleurs, ce qu’il avait pu voir sur son écran de télé ou d’ordinateur. Or, comme vous l’avez sans doute constaté, dans le monde du X, il n’est de festin charnel qui ne commence par une mise en bouche, les actrices astiquant alors l’argenterie avec une vaillance et une abnégation à faire pâlir de honte les bonnes bretonnes des maisons bourgeoises de la Belle Époque.
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Il ne faut pas s’étonner après ça si la plupart des hommes se sont mis à réclamer à leurs compagnes, fussent-elles d’honorables mères de famille, ce que le chaste Wikipedia décrit avec tact comme « une stimulation du pénis avec la bouche, les lèvres et la langue ». Un souhait largement exaucé : plus d’une sage Pénélope s’est finalement changée en Cléopâtre, la reine d’Égypte et de la pipe, que ses sujets, connaissant son goût pour la pompe et pas que royale, appelaient Meriochane, soit « bouche ouverte ».

DU DIVIN AUX CATINS

La maîtresse de César et Marc-Antoine aimait tant jouer du pipeau qu’une nuit, si l’on en croit sa légende, elle s’y exerça sur une bonne centaine de ses gardes. Un appétit qui en faisait la digne descendante d’Isis, la plus grande des déesses égyptienne et la première « flûtiste » dont l’Histoire est retenue le nom (mais on connaissait la musique depuis bien plus longtemps comme en témoignent de nombreuses peintures rupestres pour le moins évocatrices).

Selon la mythologie en cours sur les bords du Nil, la sœur et épouse d’Osiris, le dieu des dieux, redonna vie et vitalité à son mari que Seth, leur frangin, avait assassiné et découpé en quatorze morceaux, en soufflant dans son instrument, une vulgaire prothèse d’argile, l’original ayant été mangé par un poisson. Sitôt sa virilité retrouvée, ce brave Osiris honora sa femme, assura leur descendance et s’en alla régner sur le Royaume des morts.

La divinisation de la fellation par les Égyptiens relève de l’exception culturelle. Pour la Grèce et Rome, les deux autres grandes civilisations antiques, elle n’était absolument pas digne des dieux, mais carrément indigne (quoi que fort appréciée par ces messieurs). Vécue comme une pratique récréative, elle était réservée aux relations adultères ou tarifées, les matrones, elles, vouées à une sexualité purement reproductive, gardant résolument bouche close.
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Chez les Occidentaux, le parti pris romain a longtemps prévalu. Condamnée par les Chrétiens pour qui le sexe est un péché dès lors qu’il n’a pas pour finalité de se reproduire, la fellation était même passible de prison dans l’Irlande médiévale. Elle l’était encore il y a quelques années dans certains états américains, à commencer par l’Arkansas, terre natale de Bill Clinton, l’enfant gâté le plus célèbre de l’histoire.

À cause de cet anathème, le pompier fut durant des siècles l’apanage de quelques gourgandines et, plus sûrement, des péripatéticiennes. C’est d’ailleurs aux filles de joie que l’ont doit l’introduction de la « pipe » dans le vocabulaire érotique. Tout est parti d’une histoire de... « tiges » ! À la Belle Époque, tandis que les grands bourgeois découvraient les premières cigarettes manufacturées, les prolos, eux, roulaient encore leurs « clopes ». Parce qu’ils utilisaient alors une pincée de tabac égale à celle dont on nourissait une pipe, ils appelaient ça « se faire une pipe ».

Par une analogie gestuelle qui leur semblait évidente, les putains d’alors ont adopté l’expression pour désigner le sexe oral. Comment en est-on venu par la suite à tailler des pipes au lieu de les faire ? En combinant la nouvelle expression avec une plus ancienne : « tailler une plume ». Celle-ci nous venait des temps anciens où de jeunes ouvrières humectaient toujours de la langue les plumes d’oie destinées à l’écriture, avant de les tailler au couteau.

LA TAILLE QUI VOUS VA BIEN

Même si la fellation reste un classique du tapin, au point qu’elle fait toujours l’objet d’une tarification particulière (« Trente euros la pipe, cinquante l’amour ! »), elle a glissé des trottoirs aux logements qui les bordent. Mais si, comme nous l’avons vu, les ménagères d’aujourd’hui ne sucent pas que des glaçons, trouvent-elles pour autant leur intérêt à la chose ? Oui si l’on en croit l’enquête réalisée en 2012 par Philippe Brenot. 79% des 3 400 femmes que ce sexologue français avait alors interrogées, avaient déclaré apprécier la fellation. Mais à quel point ? Comme dirait Hamlet, that is the question.

Il est indéniable que les deux sexes ne sont pas égaux devant ce que Frédéric Dard a baptisé le « calumet de l’happé ». Pour un homme, la jouissance ne fait aucun doute. En effet, une caresse buccale flatte principalement sa zone la plus érogène : le gland du pénis, fort de 4000 terminaisons nerveuses. Ajoutez un accompagnement manuel pour stimuler le reste de la verge – la pipe, c’est comme le vélo : on peut en faire sans les mains, mais c’est beaucoup mieux quand on les a sur le guidon – et l’extase est au rendez-vous.
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Pour une femme, en revanche, les sensations physiques sont bien moins fortes, voire franchement désagréables quand son partenaire lui prend la tête – au propre comme au figuré – pour accentuer l’ampleur du piston, façon Gorge profonde, célèbre porno américain de 1972, inspiré de la technique des avaleurs de sabre. D’où lui vient alors son appétit pour les sucettes à l’anis ? Ça n’engage que moi, mais je lui trouve trois motivations principales...

Le plaisir de faire plaisir, pour commencer. Ce n’est certainement pas un hasard si notre vocabulaire érotique confond fellation et gâterie, un terme qui évoque un cadeau particulièrement généreux et l’enfance choyée. N’en concluez pas pour autant qu’en ce qui concerne les jeux charnels, le don de soi soit une attitude exclusivement féminine. Certes, l’homme est toujours plus égocentrée que sa partenaire, lui qui parle de la « prendre » et la qualifie alors de « conquête ». Il n’en reste pas moins que différentes études l’ont établi : la France lèche autant qu’elle suce !

Il y a ensuite le sentiment grisant de dominer les ébats, de décider de la jouissance de l’autre. « C’est quand je veux, comme je veux, compris ? » Un pouvoir dont certaines se délectent volontiers. Enfin, il y a la pression sociale. Nous vivons aujourd’hui dans un monde tourné vers la performance. Il faut être super ou wonder dans tous les domaines de notre vie, y compris dans ce qu’elle a de plus intime. Et les magazines féminins ne sont pas les derniers à y encourager leurs lectrices, multipliant les conseils et les confidences pour être une affaire sous la couette. Or, il en va des « bons coups » comme de Sherlock Holmes : la pipe est essentielle à leur panoplie. C’est ainsi que l’orgueil en guide plus d’une à l’heure des préliminaires. À moins que ce ne soit la peur, en fait ! Celle de ne pas assurer au lit et de prendre alors le risque de voir partir son amoureux vers une couche plus chaude.

Voilà pourquoi je soupçonne une partie de ces dames de ne pas être totalement franches quand, telle l’Annie de France Gall, elles répondent aux sondeurs et autres sexologues qu’elles aiment les sucettes. Je ne dis pas qu’elles mentent, juste qu’elles exagèrent quand elles prétendent apprécier quelque chose qui, au mieux, ne les dérange pas. Une réalité qui doit encourager les hommes à s’ouvrir aux vrais désirs de leurs partenaires pour ne pas toujours leur imposer les leurs. Car un lit ne doit être en aucun cas un lieu de pouvoir. Non, c’est un espace de liberté et, plus encore, de partage. Et je ne sais pas vous, mais moi, rien que de le savoir et de me dire que je vais mourir moins con, tel Félix Faure peut-être (mais le plus tard possible), ça me ravit.

Post scriptum
LA PIPE, OK, MAIS LA FUMÉE ?

La fellation est le plus souvent classée au rang des préliminaires. Mais elle peut être un fin en soi. Une fin qui, au demeurant, pose une question embarrassante : madame doit-elle alors avaler la fumée ? Ou autrement dit, accompagner l’orgasme de son partenaire jusqu’au bout, en acceptant ses hommages les plus gluants. C’est une question de goût. De saveur aussi puisqu’il se dit, sans que la science ait vraiment statué sur la question, que l'arôme de la crème aux œufs change selon le régime alimentaire du producteur (l’ami d’Annie biberonnerait-il donc au Ricard ?). Toujours est-il que ce mets bien moins consensuel que la sauce du Big Mac, est nettement plus saine qu’elle. Il est en effet riche en vitamines (C et B12), en minéraux (sodium, zinc, phosphore, calcium…) et en protéines aux propriétés antimicrobiennes. Mieux : comme le pamplemousse et le soja (mais en bien plus grande quantité), il contient de la spermidine, une molécule à laquelle on prête des effets positifs sur la régénération de nos cellules et une action efficace contre le vieillissement. Pas sûr néanmoins qu’elle fasse effet en masque de beauté !

 

Illustrations :
1 - LanaK - Adobe Stock
2 - Adiano - Adobe Stock
3 -
Marie-Lan Nguyen / Wikimedia Commons
4 - Mikhail Reshetnikov - Adobe Stock
Et puisqu'il se dit qu'en France, tout se termine par une chanson, je vous offre celle-là qui, question ambiguïté, n'a rien à envier aux Sucettes de France Gall :
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Depuis la nuit des temps, hommes et femmes agrémentent leurs accouplements de quelques douceurs sexuelles qui, tournant le dos à la procréation, se veulent de simples récréations. La fellation était déjà l’une des plus fameuses. Elle est désormais la plus populaire de toutes.
Mai 1966… L’Hexagone écoute sa jolie France (Gall) lui chantait, avec la voix tendre et candide d’une adolescente bien comme il faut, l’extase d’Annie quand son sucre d’orge coule dans sa gorge. Baptisée Les sucettes, la chanson est de Serge Gainsbourg, compositeur attitré de la jeune Parisienne depuis qu’il lui a fait gagner l’Eurovision, un an plus tôt, avec Poupée de cire, poupée de son.

Les paroles lui ont été inspirées par un souvenir d’enfance de la chanteuse qui, en vacances à Noirmoutier, s’offrait quotidiennement l’une des sucettes à l’anis que vendait l’épicier du quartier. Sauf que le Poinçonneur des Lilas, pas encore vieux mais déjà canaille, s’est servi de cette anecdote tout aussi innocente que l’interprète de Charlemagne, pour écrire, avec un art consommé de l’équivoque, une ode véritable à la fellation.

AU FEU LES POMPIERS !

Annie aime les sucettes et elle n’est plus la seule. Depuis la facétie perverse de l’Homme à tête de chou et sans que France Gall n’y soit pour grand-chose, la pratique s’est en effet largement démocratisée. À l’aube des Trente Glorieuses, celles qui avouaient s’être essayées au moins une fois dans leur vie à la buccogénitalité étaient en minorité. Il faut dire que l’acte était tabou, associé aux « femmes de mauvaise vie » comme on disait alors des prostituées. Pire, il était classé par le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, la bible des psychiatres américains, parmi les comportements pathologiques. Soixante-dix ans plus tard, le pompier n’est plus un sujet aussi brûlant et près de neuf Françaises sur dix de la tranche d’âge 34-39 ans, la plus sexuellement active, s’y adonnent avec plus ou moins d’entrain et d’assiduité.

« SI TU ENSEIGNES AUSSI BIEN L'ORTHOGRAPHE QUE TU TAILLES LES PLUMES, TU DOIS ÊTRE UNE INSTITUTRICE ÉPATANTE. »

Guillaume Apollinaire
Les Onze Mille verges

Deux phénomènes expliquent en grande partie la banalisation de la turlutte. Pour commencer, la libération sexuelle entamé dans les années soixante-dix avec ce mot d’ordre fameux : « jouissez sans entrave ». Or, quoi de mieux qu’une petite pipe pour donner du piment à ses ébats. Elle est coquine, voire franchement osée quand on laisse libre cours à ses fantasmes, vu qu’on peut la consommer n’importe où, n’importe quand, dans la voiture, dans la salle obscure d’un cinéma, dans une cabine d’essayage ou dans la cage d’escalier.

Dans le même temps, cette audace est tranquille. Elle est bien plus douce qu’une sodomie, plus intime qu’une partie fine et moins risquée qu’un missionnaire. Du moins, pour ce qui est de se retrouver avec un polichinelle dans le tiroir. Car, ne l’oublions jamais, en ce qui concerne les infections sexuellement transmissibles, sida, syphilis, herpès, hépatite B et autre papillomavirus, même s’il est nettement moins périlleux qu’un coït sans préservatif, le sexe oral n’est jamais sans danger.

Il peut même se révéler mortel ! En témoigne la fin tragique de Félix Faure, l’un des lointains prédécesseurs d’Emmanuel Macron à la tête de l’État.  Le 16 février 1899, Marguerite Steinheil, sa maîtresse, lui rend une petite visite au palais de l’Élysée. Sitôt qu’ils sont seuls, la dame entreprend de lui donner du plaisir avec sa bouche. Elle y met tant d’ardeur et de talent que le bonhomme, sous le coup d’une immense émotion, en fait une crise cardiaque, passant de la petite mort à la grande. Ce qui inspire alors à Georges Clémenceau, l’un de ses principaux opposants, cette épitaphe cinglante : « Il voulait être César, il ne fut que Pompée ». Quant à la maîtresse virtuose, elle s’est vue rapidement affublée d’un surnom difficile à porter : la Pompe funèbre.

LA MEILLEURE DES PUBLICITÉS

Si la révolution sexuelle post soixante-huitarde à délier bien des langues, Canal Plus et JVC, l’inventeur des cassettes VHS (Video Home System) et, bien plus tard, internet ont définitivement libéré l’expression orale en faisant entrer la pornographie dans tous les foyers. Tous, vraiment ?  Presque tous... Aujourd’hui, plus de 90% des Français et les deux tiers des Françaises avouent avoir visionné un film cochon au moins une fois dans leur vie.

Fantasmé essentiellement par et pour les hommes, ce flux licencieux a beaucoup fait pour la popularité de la fellation. Il faut dire qu’en l’absence d’une éducation sexuelle digne de ce nom, les productions de Dorcel et consort restent, pour une majorité de mâles, le moyen le plus facile de déflorer ce grand mystère qu’est la sexualité et d’enrichir son savoir en la matière. C’est ainsi qu’elles influencent grandement notre libido, au point qu’un Français sur deux a confié aux sondeurs de l’IFOP qu’il avait déjà mis en pratique, au lit ou ailleurs, ce qu’il avait pu voir sur son écran de télé ou d’ordinateur. Or, comme vous l’avez sans doute constaté, dans le monde du X, il n’est de festin charnel qui ne commence par une mise en bouche, les actrices astiquant alors l’argenterie avec une vaillance et une abnégation à faire pâlir de honte les bonnes bretonnes des maisons bourgeoises de la Belle Époque.
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Il ne faut pas s’étonner après ça si la plupart des hommes se sont mis à réclamer à leurs compagnes, fussent-elles d’honorables mères de famille, ce que le chaste Wikipedia décrit avec tact comme « une stimulation du pénis avec la bouche, les lèvres et la langue ». Un souhait largement exaucé : plus d’une sage Pénélope s’est finalement changée en Cléopâtre, la reine d’Égypte et de la pipe, que ses sujets, connaissant son goût pour la pompe et pas que royale, appelaient Meriochane, soit « bouche ouverte ».

DU DIVIN AUX CATINS

La maîtresse de César et Marc-Antoine aimait tant jouer du pipeau qu’une nuit, si l’on en croit sa légende, elle s’y exerça sur une bonne centaine de ses gardes. Un appétit qui en faisait la digne descendante d’Isis, la plus grande des déesses égyptienne et la première « flûtiste » dont l’Histoire est retenue le nom (mais on connaissait la musique depuis bien plus longtemps comme en témoignent de nombreuses peintures rupestres pour le moins évocatrices).

Selon la mythologie en cours sur les bords du Nil, la sœur et épouse d’Osiris, le dieu des dieux, redonna vie et vitalité à son mari que Seth, leur frangin, avait assassiné et découpé en quatorze morceaux, en soufflant dans son instrument, une vulgaire prothèse d’argile, l’original ayant été mangé par un poisson. Sitôt sa virilité retrouvée, ce brave Osiris honora sa femme, assura leur descendance et s’en alla régner sur le Royaume des morts.

La divinisation de la fellation par les Égyptiens relève de l’exception culturelle. Pour la Grèce et Rome, les deux autres grandes civilisations antiques, elle n’était absolument pas digne des dieux, mais carrément indigne (quoi que fort appréciée par ces messieurs). Vécue comme une pratique récréative, elle était réservée aux relations adultères ou tarifées, les matrones, elles, vouées à une sexualité purement reproductive, gardant résolument bouche close.
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Chez les Occidentaux, le parti pris romain a longtemps prévalu. Condamnée par les Chrétiens pour qui le sexe est un péché dès lors qu’il n’a pas pour finalité de se reproduire, la fellation était même passible de prison dans l’Irlande médiévale. Elle l’était encore il y a quelques années dans certains états américains, à commencer par l’Arkansas, terre natale de Bill Clinton, l’enfant gâté le plus célèbre de l’histoire.

À cause de cet anathème, le pompier fut durant des siècles l’apanage de quelques gourgandines et, plus sûrement, des péripatéticiennes. C’est d’ailleurs aux filles de joie que l’ont doit l’introduction de la « pipe » dans le vocabulaire érotique. Tout est parti d’une histoire de... « tiges » ! À la Belle Époque, tandis que les grands bourgeois découvraient les premières cigarettes manufacturées, les prolos, eux, roulaient encore leurs « clopes ». Parce qu’ils utilisaient alors une pincée de tabac égale à celle dont on nourissait une pipe, ils appelaient ça « se faire une pipe ».

Par une analogie gestuelle qui leur semblait évidente, les putains d’alors ont adopté l’expression pour désigner le sexe oral. Comment en est-on venu par la suite à tailler des pipes au lieu de les faire ? En combinant la nouvelle expression avec une plus ancienne : « tailler une plume ». Celle-ci nous venait des temps anciens où de jeunes ouvrières humectaient toujours de la langue les plumes d’oie destinées à l’écriture, avant de les tailler au couteau.

LA TAILLE QUI VOUS VA BIEN

Même si la fellation reste un classique du tapin, au point qu’elle fait toujours l’objet d’une tarification particulière (« Trente euros la pipe, cinquante l’amour ! »), elle a glissé des trottoirs aux logements qui les bordent. Mais si, comme nous l’avons vu, les ménagères d’aujourd’hui ne sucent pas que des glaçons, trouvent-elles pour autant leur intérêt à la chose ? Oui si l’on en croit l’enquête réalisée en 2012 par Philippe Brenot. 79% des 3 400 femmes que ce sexologue français avait alors interrogées, avaient déclaré apprécier la fellation. Mais à quel point ? Comme dirait Hamlet, that is the question.

Il est indéniable que les deux sexes ne sont pas égaux devant ce que Frédéric Dard a baptisé le « calumet de l’happé ». Pour un homme, la jouissance ne fait aucun doute. En effet, une caresse buccale flatte principalement sa zone la plus érogène : le gland du pénis, fort de 4000 terminaisons nerveuses. Ajoutez un accompagnement manuel pour stimuler le reste de la verge – la pipe, c’est comme le vélo : on peut en faire sans les mains, mais c’est beaucoup mieux quand on les a sur le guidon – et l’extase est au rendez-vous.
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Pour une femme, en revanche, les sensations physiques sont bien moins fortes, voire franchement désagréables quand son partenaire lui prend la tête – au propre comme au figuré – pour accentuer l’ampleur du piston, façon Gorge profonde, célèbre porno américain de 1972, inspiré de la technique des avaleurs de sabre. D’où lui vient alors son appétit pour les sucettes à l’anis ? Ça n’engage que moi, mais je lui trouve trois motivations principales...

Le plaisir de faire plaisir, pour commencer. Ce n’est certainement pas un hasard si notre vocabulaire érotique confond fellation et gâterie, un terme qui évoque un cadeau particulièrement généreux et l’enfance choyée. N’en concluez pas pour autant qu’en ce qui concerne les jeux charnels, le don de soi soit une attitude exclusivement féminine. Certes, l’homme est toujours plus égocentrée que sa partenaire, lui qui parle de la « prendre » et la qualifie alors de « conquête ». Il n’en reste pas moins que différentes études l’ont établi : la France lèche autant qu’elle suce !

Il y a ensuite le sentiment grisant de dominer les ébats, de décider de la jouissance de l’autre. « C’est quand je veux, comme je veux, compris ? » Un pouvoir dont certaines se délectent volontiers. Enfin, il y a la pression sociale. Nous vivons aujourd’hui dans un monde tourné vers la performance. Il faut être super ou wonder dans tous les domaines de notre vie, y compris dans ce qu’elle a de plus intime. Et les magazines féminins ne sont pas les derniers à y encourager leurs lectrices, multipliant les conseils et les confidences pour être une affaire sous la couette. Or, il en va des « bons coups » comme de Sherlock Holmes : la pipe est essentielle à leur panoplie. C’est ainsi que l’orgueil en guide plus d’une à l’heure des préliminaires. À moins que ce ne soit la peur, en fait ! Celle de ne pas assurer au lit et de prendre alors le risque de voir partir son amoureux vers une couche plus chaude.

Voilà pourquoi je soupçonne une partie de ces dames de ne pas être totalement franches quand, telle l’Annie de France Gall, elles répondent aux sondeurs et autres sexologues qu’elles aiment les sucettes. Je ne dis pas qu’elles mentent, juste qu’elles exagèrent quand elles prétendent apprécier quelque chose qui, au mieux, ne les dérange pas. Une réalité qui doit encourager les hommes à s’ouvrir aux vrais désirs de leurs partenaires pour ne pas toujours leur imposer les leurs. Car un lit ne doit être en aucun cas un lieu de pouvoir. Non, c’est un espace de liberté et, plus encore, de partage. Et je ne sais pas vous, mais moi, rien que de le savoir et de me dire que je vais mourir moins con, tel Félix Faure peut-être (mais le plus tard possible), ça me ravit.

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MAIS LA FUMÉE ?

La fellation est le plus souvent classée au rang des préliminaires. Mais elle peut être un fin en soi. Une fin qui, au demeurant, pose une question embarrassante : madame doit-elle alors avaler la fumée ? Ou autrement dit, accompagner l’orgasme de son partenaire jusqu’au bout, en acceptant ses hommages les plus gluants. C’est une question de goût. De saveur aussi puisqu’il se dit, sans que la science ait vraiment statué sur la question, que l'arôme de la crème aux œufs change selon le régime alimentaire du producteur (l’ami d’Annie biberonnerait-il donc au Ricard ?). Toujours est-il que ce mets bien moins consensuel que la sauce du Big Mac, est nettement plus saine qu’elle. Il est en effet riche en vitamines (C et B12), en minéraux (sodium, zinc, phosphore, calcium…) et en protéines aux propriétés antimicrobiennes. Mieux : comme le pamplemousse et le soja (mais en bien plus grande quantité), il contient de la spermidine, une molécule à laquelle on prête des effets positifs sur la régénération de nos cellules et une action efficace contre le vieillissement. Pas sûr néanmoins qu’elle fasse effet en masque de beauté !

Illustrations :
1 - LanaK - Adobe Stock
2 - Adiano - Adobe Stock
3 -
Marie-Lan Nguyen / Wikimedia Commons
4 - Mikhail Reshetnikov - Adobe Stock
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